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LE CONSEIL D’ÉTAT.

Quelques jurisconsultes répondent par un principe que je ne saurais accepter. Ils font deux parts de la justice, la justice ordinaire et la justice administrative, et prétendent que la couronne n’a délégué que la première et a retenu à elle la seconde. Je comprends une telle prétention avec une royauté de droit divin, qui a octroyé au peuple des libertés et des garanties ; on peut dire qu’elle s’est réservé certaines attributions ; avec une royauté de droit écrit et de conditions débattues, ce système est inadmissible. La royauté ne délègue ni ne se réserve rien. Elle a les droits, elle exerce les pouvoirs que lui donne la charte : rien de plus, rien de moins. Il y a long-temps que la cognée a renversé le chêne de Vincennes, et, si l’on a des juges à Berlin, on n’en doit pas manquer en France. Ces argumens fondés sur des prérogatives royales, sur des droits inhérens à la couronne, indépendamment de la constitution du pays, sont d’un autre temps et d’un autre régime ; ils ne peuvent être invoqués sans anachronisme. Discutons avec les idées, les principes et les conditions générales de notre forme de gouvernement et de notre époque.

Or, en France, il n’y a pas de droit dépourvu de sanction. Pour ceux qui touchent à l’action du gouvernement, si une justice régulière n’est pas constituée, la responsabilité ministérielle y supplée. Le citoyen obtient toujours ou la garantie judiciaire ou la garantie politique, des juges institués pour reconnaître son droit et le faire respecter, ou des ministres responsables de sa violation devant les pouvoirs parlementaires. C’est un principe non contesté, et ceux qui ne veulent pas que le contentieux administratif soit soumis à une juridiction, entendent le placer sous l’abri de la responsabilité ministérielle.


La question, dans son expression la plus générale, consiste donc à savoir si le jugement du contentieux sera considéré comme étant dans le domaine de la responsabilité ministérielle ou dans celui d’une justice réglée.

Ainsi posée, elle est résolue par tous les principes de notre droit public.

Toute difficulté qui donne lieu à l’examen du texte d’une loi ou d’une convention, à l’effet d’en déterminer le sens et d’en donner l’interprétation, non arbitraire et libre, mais formelle et doctrinale, doit être soumise à une juridiction.

Toute difficulté qui consiste à constater des faits pour les rapprocher d’une loi ou d’une convention doit être soumise à une juridiction.