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M. Royer-Collard. Ce qui attachait surtout M. Cousin à M. de Biran, c’était l’espoir de profiter de sa longue expérience comme observateur, et de se fortifier ainsi dans l’étude de la psychologie, dont il voyait bien que tout l’avenir de la philosophie dépendait. M. de Biran, de son côté, sentait vivement la puissance de cet esprit tout jeune, qui n’avait fait encore que peu d’études, et n’avait reçu qu’un enseignement incomplet, mais qui d’un bond, et en devinant plutôt qu’en apprenant, s’était mis à son niveau. M. Cousin, à cette époque, arrivait vite au bout des questions et des écoles, et malgré ses études opiniâtres, l’ardeur de l’imagination l’emportait, il y avait peut-être trop d’improvisation dans sa philosophie. À mesure que l’un se refroidissait, l’autre acquérait tous les jours plus de talent et de renommée ; il débordait d’idées et de théories ; il était dans sa plus grande ferveur d’éclectisme. Il dépassait alors l’optimisme leibnitien, et, comme il l’a souvent raconté depuis, dans sa vaste et excessive indulgence, il parcourait l’histoire de tous les systèmes sans pouvoir jamais donner tort à personne. Il en était à cette période où l’on comprend, et arrivait par degrés à celle où on juge.

Tout en enseignant à M. Royer-Collard et à M. Cousin la nature de la volonté, M. de Biran n’avait pas appris d’eux à connaître l’intelligence. Il ne voulait voir dans l’ame humaine que la sensation et la volonté. M. Cousin avait beau lui crier que la sensation est fugitive et la volonté personnelle, qu’il y a pourtant au dedans de nous des vérités immuables que nous n’avons pas faites, et sur lesquelles nous n’avons aucune puissance ; que, si la sensation ne peut expliquer la volonté, la volonté à son tour ne peut expliquer la raison, M. de Biran restait sourd, et persistait à ne voir en nous que volonté et personnalité. Poussé à bout, il se réfugiait dans le mysticisme ; on arrive par tous les côtés au mysticisme, mais on y arrive surtout par la nécessité d’expliquer ce qui est inexplicable, que cette difficulté soit réelle et tienne à la nature des choses, ou qu’elle provienne de l’insuffisance des principes d’où l’on est parti. La nature de M. de Biran ne le prédestinait en aucune façon à l’illuminisme ; aussi n’est-il devenu mystique qu’à son corps défendant, pour échapper à la raison impersonnelle qu’il ne voulait pas admettre, et trouver un repos dont son ame avait besoin. Dans ses ouvrages, ce mysticisme n’apparaît guère que comme effusion d’une piété vive et affectueuse, et non comme intuition surnaturelle. Cependant quelques phrases qui lui échappent, une curieuse note sur Van-Helmont, trahissent une sorte de croyance à des communications directes entre Dieu et l’homme. Dans cette