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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

monie. Cet intérêt était le premier de tous. L’Angleterre et la France, unies d’intentions et d’efforts dans une conférence européenne, auraient dominé sans peine les autres cours. L’association des gouvernemens constitutionnels aurait fait pour l’Orient en 1839 ce qu’elle avait fait pour la Belgique en 1831. L’Angleterre et la France n’auraient pas exercé moins d’influence sur le dénouement des négociations que n’en ont eu plus tard l’Angleterre et la Russie. De tout temps, deux puissances ont donné l’impulsion, et l’Europe l’a suivie.

Il est à remarquer, en lisant la dépêche de M. de Bourqueney, que lord Palmerston excluait alors la Russie du concert dont il prétendait que la France et l’Angleterre posassent les conditions. Un mois plus tard, dans sa dépêche à lord Beauvale, il n’admet les conférences en principe qu’autant que la Russie aura consenti à y prendre part. Le simple rapprochement de ces deux faits montre l’espace que la politique anglaise a dû parcourir en si peu de temps ; en un mois, le revirement a été tellement complet, que lord Palmerston a passé d’un pôle à l’autre : cette entente préalable que la France avait déclinée, il y appelle déjà la Russie. Après avoir songé à isoler la Russie de l’Europe, c’est la France qu’il vouera bientôt à cet isolement.

Je n’ai pas l’intention d’exagérer les torts de l’Angleterre, et je reconnais que, si lord Palmerston est coupable d’avoir brisé l’alliance des deux grands états constitutionnels, le ministère du 12 mai s’était déjà refusé à la resserrer. La pensée de cette rupture, qui était d’abord personnelle à lord Palmerston, ne s’est fait jour dans le cabinet anglais que lorsqu’il a été démontré pour lui que l’on ne pouvait pas compter sur nous. Cela diminue la faute, sans l’absoudre ; car les motifs qui excuseraient l’indifférence pour un allié ne sauraient justifier l’hostilité.

À partir du mois de juillet 1839, on voit les rapports de la France avec l’Angleterre se détendre chaque jour et s’aigrir. La France continue à s’enfoncer innocemment dans la voie du concert européen. L’Angleterre traite l’opinion du gouvernement français comme un fait sans importance, ou lui suscite des querelles et des embarras, tout en ne cessant pas d’adresser des avances au gouvernement russe et de se mettre en frais de coquetterie à son égard.

M. Thiers, appelé à s’expliquer, dans la discussion de l’adresse, sur la politique du 12 mai, l’appelait une politique pacifique, européenne, humaine, et il ajoutait que l’Europe n’avait pas répondu à ces intentions loyales par des actes d’une égale loyauté. Les faits viennent cruellement à l’appui du jugement porté par M. Thiers, car il n’est