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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

Orient. Il se pourrait donc qu’un arrangement direct entre la Porte et Méhémet-Ali entrât dans ses vues ; que, loin de le contrarier, elle y donnât secrètement la main ; et s’il était vrai, comme quelques indices donnent lieu de le supposer, que Nourri-Effendi se fût rallié à la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg, il y aurait lieu de concevoir des inquiétudes dans ce sens. » (Le maréchal Soult au baron Roussin, 7 août 1839.)

Plût à Dieu que cette politique eût été réellement celle de la Russie, et que la Porte eût montré sa déférence habituelle pour les conseils qui lui venaient de ce côté, car l’arrangement direct aurait épargné à la France l’humiliation que lui a infligée le traité du 15 juillet, et à l’Orient les désordres que l’intervention armée des puissances y a provoqués. Mais le ministère du 12 mai ne voyait et ne prévoyait rien. Dans son optimisme confiant, il croyait marcher à la paix universelle, en résistant à l’Angleterre et en heurtant de front la Russie. La candeur politique du gouvernement français fut poussée si loin, qu’au moment de la première mission de M. de Brunnow, il menaça l’Angleterre de s’isoler[1], ce que l’Angleterre désirait par-dessus tout, et qu’au retour du négociateur russe il félicita lord Palmerston du rapprochement qui s’opérait aux dépens de la France entre le cabinet de Londres et le cabinet de Pétersbourg[2].

Je ne connais rien de plus triste que le spectacle de cette bonne foi sans art, de cette politique enfantine aux prises avec la duplicité consommée des diplomates européens. Ce n’est de tous côtés qu’embûches et que trahisons dans lesquelles notre gouvernement donne tête baissée. On souffre, en suivant les traces du complot, de savoir

  1. « Quelles que soient les conséquences d’un déplorable dissentiment, dût-il avoir pour effet l’accomplissement du projet favori de la Russie, celui de nous isoler de nos alliés, ce n’est pas nous qui en aurons encouru la responsabilité. Nous resterons sur notre terrain. Ce ne sera pas notre faute si nous n’y retrouvons plus ceux qui s’y étaient d’abord placés à côté de nous. » (Le maréchal Soult au comte Sébastiani, 27 septembre 1839.)
  2. « La nouvelle que vous me donnez du prochain retour à Londres de M. de Brunnow, muni de pleins pouvoirs pour signer une convention qui réglerait sur un pied d’égalité les rapports de protection des puissances à l’égard de la Porte, a excité, comme vous pouvez le croire, la plus sérieuse attention du gouvernement du roi… Si les termes de cette convention emportent de la part de la Russie une renonciation effective à la position exceptionnelle qu’elle s’attribuait à Constantinople, si l’addition d’aucune clause directe ou indirecte ne vient paralyser d’un autre côté les concessions que semble faire le cabinet de Saint-Pétersbourg, je n’ai pas besoin de vous dire que la détermination de ce cabinet, quel qu’en puisse avoir été le motif, nous causera une très vive satisfaction. » (Le maréchal Soult à M. Sébastiani, 3 décembre 1839.)