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que le succès, un succès funeste, est au bout. On voudrait pouvoir avertir la France et lui crier, comme l’héroïque d’Assas : « À moi, Auvergne, ce sont les ennemis ! » Mais il n’est plus temps, et il faut se résigner : nous sommes sous le poids des faits accomplis.

Pendant que le gouvernement français n’épargnait rien pour amener un concert entre les puissances sur les affaires de l’Orient, froissant les amours-propres et heurtant les intérêts privés, en vue de la paix, ces mêmes puissances ne songeaient qu’à se rapprocher, disons mieux, à se coaliser contre la France. Le système des alliances européennes allait changer, et l’équilibre du monde se déplaçait. On voit tous les cabinets concourir d’instinct à ce plan avant d’en venir à des stipulations écrites ; ils s’entendent sans s’être expliqués. Les uns manœuvrent avec la timidité ordinaire de leur politique ; les autres marchent droit au but sans scrupule comme sans remords, les uns et les autres rassurés sur le danger d’une collision avec la France par la faiblesse bien connue du gouvernement français.

Ce qui prouve que la haine du nom français a fait l’union des puissances, c’est qu’aucune d’elles, en abordant la question d’Orient, n’avait une opinion arrêtée. L’Orient a été le champ de bataille où elles ont déployé leur stratégie, prenant ou quittant une position, selon qu’il en résultait quelque chance de plus ou de moins contre nous. Voilà le secret de leurs variations. La stabilité de la Porte, la sécurité du pacha, le sort des populations qui habitent l’empire ottoman, tout a été subordonné au grand intérêt de nous tenir en échec, et le triomphe de nos adversaires s’est composé autant de nos concessions bénévoles que de leurs violences et de leurs agressions.

Dans le cours de ces négociations, l’Autriche et la Russie ont modifié cinq à six fois[1] leurs vues sur l’avenir de l’Orient. Du statu-

  1. Variations de l’Autriche et de la Russie sur la question territoriale :

    L’AUTRICHE. LA RUSSIE.
    « La seule ouverture à laquelle le divan ait prêté l’oreille est celle qui consiste à faire obtenir au sultan la restitution immédiate de la Syrie par l’intervention des quatre puissances. Cette ouverture a été faite par le baron Stürmer (internonce autrichien à Constantinople), en son propre nom. » (Dépêche de lord Beauvale, 14 juin 1839.)
    « L’Autriche propose qu’en considération de l’hérédité de l’Égypte conser-
    « Déclarer au pacha, de la manière la plus formelle, que, tant qu’il se bornerait à la défense des territoires qui lui ont été assignés par l’arrangement de Kutaya, les puissances resteraient témoins impassibles de la lutte qui s’est engagée en Syrie. » (Dépêche du comte Nesselrode, 15 juin 1839.)
    « L’Autriche propose qu’en considération de l’hérédité de l’Égypte assurée à sa famille, Méhémet-Ali abandonne la