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l’élégance. Les riches habitans de Kolymsk offrent parfois à leurs hôtes du thé avec du sucre candi. Le pain est partout un aliment fort rare ; ceux qui ont le moyen d’acheter de la farine en composent une boisson nommée saturaw, ou la font bouillir dans une poêle avec de l’eau et de l’huile.

La fête de Noël est, sur les rives du Kolyma, une grande solennité. Dès le matin, les cloches sonnent ; les habitans, parés de leur mieux, se rendent à l’église. Après le service divin, le prêtre, portant la croix, visite chaque cabane et l’arrose d’eau bénite. Le soir, les voisins se rassemblent auprès du même foyer et font un gala. Si le maître de la maison peut servir à ses hôtes une dizaine de tasses de thé avec quelques morceaux de sucre-candi, tout le monde est dans la joie, et, s’il apporte sur la table un flacon d’eau-de-vie, le bonheur est complet. On chante, on danse, on joue, et, pour terminer une si grande solennité, le lendemain on se promène en traîneaux et on se laisse glisser du haut des montagnes. Ainsi se passe la vie pénible et uniforme de ces pauvres gens, qui heureusement n’ont aucune idée des jouissances que nous recherchons.

À son arrivée à Kolymsk, M. Wrangel s’installa dans une grande maison abandonnée depuis long-temps, parce qu’on la regardait comme le lieu de rendez-vous des esprits. Cette maison était couverte en terre, comme toutes celles du pays, et divisée en deux compartimens. L’un fut occupé par le jeune officier, l’autre par ses gens. Une planche servant de lit, une table chancelante, une chaise dont les diverses pièces étaient liées avec des courroies, voilà tout ce qui composait le mobilier. Les fenêtres étaient garnies d’une lame de glace de six à huit pouces d’épaisseur ; c’était là ce qu’on appelait des vitres. M. Wrangel prépara ses instrumens, fit élever un observatoire et commença ses travaux. Le froid était si rigoureux, que, lorsqu’il travaillait dans sa chambre, assis auprès d’un large foyer, son encre gelait à côté de lui, et lorsque les ouvriers travaillaient à son observatoire, leurs haches se brisaient comme du verre. Cependant il devait s’exposer à une température plus cruelle encore : il devait, aux termes de ses instructions, s’avancer jusqu’au cap Schelagskoi, situé au 70e degré de latitude, s’efforcer de trouver la plage qu’un Cosaque nommé Andrejew prétendit avoir découverte en 1762, tandis qu’une partie de ses compagnons se dirigeraient vers l’est et tâcheraient de pénétrer aussi loin que possible.

Ces excursions aventureuses ne pouvaient être faites qu’au milieu de l’hiver, avec des chiens et des nartes. Le narte est un traîneau en