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rennes. Leurs cabanes sont construites avec des poutres ou des ossemens de baleines et recouvertes de peaux. On y entre par une ouverture étroite que ferme une peau épaisse, et dans le fond de l’habitation il y a une petite tente soigneusement calfeutrée, qui sert de refuge à la famille pendant les jours d’hiver. On ne brûle dans le foyer que des ossemens de baleine arrosés d’huile, car nul arbre ne croît dans cette sinistre contrée, et les pièces de bois flottantes amenées sur les grèves par les courans sont conservées soigneusement pour servir d’appui aux habitations. Ces Tschuktsches vivent de chasse et de pêche. Le morse est pour eux la ressource providentielle que leurs frères nomades trouvent dans les troupeaux de rennes. Avec le morse, ils ont un aliment pour apaiser leur faim, des peaux pour se couvrir et fabriquer leurs lanières, leurs courroies, de l’huile pour éclairer et chauffer leurs sombres demeures ; avec les dents d’ivoire de cet animal, ils font des coupes, des cuillères, des instrumens tranchans pour rompre la glace ; ils en vendent en outre un assez grand nombre pour se procurer les diverses denrées de luxe ou de première nécessité que leur sol ingrat leur refuse. Ils tuent les oiseaux à coups de fronde, et poursuivent hardiment, la lance à la main, les ours blancs au milieu des blocs de glace. Ils voyagent dans des traîneaux attelés de chiens.

Leur mets favori est la chair d’ours blanc ou la peau de morse ; quelquefois ils font du bouillon de renne, qu’ils aspirent dans de larges vases avec un os percé comme un tuyau. Ordinairement ils ne touchent au plat qui leur est servi que lorsqu’il est tout-à-fait froid, et après chaque repas ils ont coutume de prendre, comme dessert, un lourd morceau de neige. « Je les ai vus souvent, dit M. Wrangel, par trente degrés de froid, sortir de leur tente, rentrer les mains pleines de neige, et la manger avec un remarquable plaisir. »

À toutes les misères de cette population il faut en ajouter une encore qu’on ne s’attendrait guère à trouver dans une telle contrée : le vasselage. Il y a là des familles entières qui, depuis un temps immémorial, sont soumises à d’autres familles, des hommes qui n’ont pas le droit de rien posséder, et qui vivent dans la dépendance des patriciens, obéissant à leurs ordres, et remplissant auprès d’eux tous les devoirs de la domesticité. Quand on interroge les étranges barons de cette malheureuse peuplade sur l’origine d’un tel servage, ils répondent qu’ils ne la connaissent pas, que leur état social a toujours existé ainsi, et qu’il ne doit jamais changer.

À peine de retour à Kolymsk, M. Wrangel entreprend de nou-