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REVUE MUSICALE.

bon droit pour une œuvre unique en son genre, pour une de ces œuvres qui, comme le Matrimonio segretto de Cimarosa, le Don Juan de Mozart, ou le Freyschütz de Weber, ne relèvent que du génie d’un maître. Richard a son caractère propre, son style à lui, style chevaleresque et se ressentant de l’époque où la partition fut écrite, ainsi que le remarquait dernièrement avec tant de justesse un critique auquel pas une nuance n’échappe. N’est-ce pas un personnage chevaleresque, ce Blondel dont le rôle débute par un air dont la strette n’a peut-être point son égale en musique pour l’expression chaleureuse et convaincue ? Weber, lui aussi, a composé un opéra chevaleresque, Euryanthe ; mais, chez le musicien allemand, le naïf disparaît sous le romantisme. Adolar aime Euryanthe ; Blondel, lui, ne se passionne que pour son roi. Il n’appelle, il ne demande, il ne veut que Richard ; vers Richard tendent toutes ses invocations, tous ses soupirs, toutes ses plaintes si profondes et si pathétiques de fièvre brûlante. Blondel, c’est l’héroïsme chevaleresque, c’est la foi au souverain. Il n’y avait qu’un Français du temps de Grétry pour inventer ce caractère. Le naïf et le chevaleresque, tels sont les élémens dont se compose Richard. À ce compte, la pièce de Sédaine devait inspirer la musique de Grétry. Cela est honnête, simple, sans prétentions au mouvement, à l’effet dramatique. Deux vieillards qui célèbrent leur cinquantaine, un chevalier qui cherche son roi, et comme ressort dramatique, les amours d’une jeune fille avec le gouverneur de la citadelle où gémit Richard, voilà certes qui nous paraîtrait bien simple aujourd’hui, et cependant il n’en faut pas davantage pour écrire un chef-d’œuvre. Tout cela, poème et musique, n’en veut qu’à vos émotions les plus douces, à vos larmes. Sédaine et Grétry ! heureuse association, génies faits pour s’entendre, un peu comme MM. Scribe et Auber à notre époque ; seulement, d’un côté c’était le cœur, et de l’autre c’est l’esprit. Que de gentillesse dans ce rôle de la jeune fille ! comme il se détache avec grace du fond mélancolique du tableau ! Il n’y a pas jusqu’à certaines formules un peu vieillotes, jusqu’à certains rhythmes qu’on trouverait autre part passés de mode, qui ne conviennent ici et ne plaisent dans ce poème de troubadours et de monarques en captivité, dans ce sujet venu en droite ligne du fabliau. Une preuve, du reste, que Grétry l’a senti, c’est qu’il exagère lui-même en maint endroit cette physionomie dont nous parlons, et multiplie comme à plaisir des cadences finales déjà surannées de son temps, comme dans les ritournelles de ce couplet de Blondel :

Un bandeau couvre les yeux
Du dieu qui rend amoureux,
Ce qui nous apprend sans doute
Que le petit dieu badin
N’est jamais si malin
Que lorsqu’il n’y voit goutte.

Vous retrouvez dans cette musique toute la mythologie des paroles ; c’est le rococo dans toute sa grace et sa fraîcheur, surtout lorsque le couplet