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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

rédacteur du traité affichait, comme on voit, la prétention d’imiter les oracles, et prenait les provinces annexées à l’Égypte pour autant de pages des livres sibyllins.

Rien ne témoigne plus clairement des mauvais desseins des puissances que le vague dans lequel sont laissées les dispositions les plus importantes du traité. Ainsi, dans l’article 25 de la convention, il est dit que les puissances s’engagent à prendre, à la réquisition du sultan, les mesures concertées et arrêtées entre elles, afin de mettre l’arrangement territorial à exécution ; mais nulle part on ne voit quelles seront ces mesures ni à quel terme elles doivent s’arrêter. La convention partage les détroits entre l’Angleterre et la Russie, stipule l’assistance des forces navales anglaises et de la marine autrichienne pour rendre efficace le blocus de la Syrie, et rappelle comme pour mémoire la vieille règle qui veut que les Dardanelles et le Bosphore soient fermés en temps de paix aux vaisseaux de guerre de toutes les nations ; mais aucun autre moyen de contrainte n’est positivement indiqué ni convenu.

Même lacune dans les conditions de l’investiture héréditaire que l’on offre à Méhémet-Ali. On déclare qu’il aura un tribut annuel à payer, que ce tribut sera proportionné à l’étendue des territoires confiés à son administration, mais on en laisse le chiffre en blanc. Le traité ne fixe pas avec plus de précision les forces de terre et de mer que le pacha restera libre d’entretenir.

Cette latitude effrayante suppose ou qu’il existe des stipulations secrètes que les puissances n’avouent pas, ou qu’elles ne prennent le traité que comme un principe dont elles pousseront l’exécution aussi loin qu’il leur plaira. Cet arbitraire, que les contractans se réservent, est destructif du traité lui-même. On ne fait pas une convention pour s’arroger la dictature, que ce soit pour l’Europe entière ou seulement pour l’Orient.

Ce n’est pas tout : à la convention et à l’acte séparé du 15 juillet se trouve annexé un protocole réservé, signé le même jour, et qui décide que vu la distance, et par des considérations de politique aussi bien que d’humanité, il sera procédé aux mesures coercitives avant l’échange des ratifications. Voilà une stipulation sans exemple. Un traité n’existe pas et ne peut avoir de force tant qu’il n’est pas ratifié ; jusque-là ce n’est qu’un projet. Les ratifications sont pour un traité ce que la promulgation est pour une loi. Faire une convention pour dire que l’on exécutera un traité qui n’a pas été ratifié, c’est dire que l’on se dispensera d’observer les règles prescrites par le droit des