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LA SALLE DES PRIX À L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS.

plus difficiles pour convenir qu’à son aspect on est saisi d’une impression pleine de grandeur. La réflexion seule vient ensuite faire des réserves. C’est quelque chose que cette séduction du premier coup d’œil : je sais bien qu’elle dérive en partie de cet élément pittoresque que l’auteur manie avec une si merveilleuse habileté, je sais qu’en lui donnant le conseil de subordonner désormais cette portion de son talent à une sévérité de style qu’il est digne de lui de poursuivre exclusivement, nous lui demandons de renoncer peut-être à un grand moyen de succès auprès de beaucoup de gens ; mais n’est-il pas vrai que, si M. Delaroche aime la gloire avec cette ardeur passionnée et persévérante qui n’appartient qu’à un véritable artiste, il est homme à aimer son art plus encore que la gloire même. Grandir dans son art non-seulement, s’il le faut, aux dépens de sa fortune, mais aux dépens de toute renommée qui ne serait pas complètement légitime, tel est le but auquel M. Delaroche semble avoir voué sa vie. Il est quelquefois pénible d’indiquer aux hommes de talent ce qu’on trouve d’imparfait dans leurs œuvres : la critique les offense plutôt qu’elle ne les aiguillonne ; on sent qu’on les blesse sans profit. Il y a plaisir au contraire à dire à M. Delaroche ce qu’on attend de lui, ce qu’il peut ajouter encore à ses brillantes qualités, car si par hasard la critique est juste, si l’observation a la moindre valeur, la moindre portée, on peut être sûr qu’il en profitera : le talent est toujours perfectible avec un esprit ouvert et une invincible volonté.

Aussi je désire vivement qu’on ne laisse pas M. Delaroche en si beau chemin, et que bientôt on lui donne occasion de décorer encore quelque autre monument. Puisse la même faveur être aussi réservée à tous ceux de nos jeunes peintres qui aspirent à de sérieuses épreuves, mais dont l’imagination languit sur ces toiles étroites et banales qu’on leur commande par charité. La peinture monumentale élève et exalte l’esprit ; elle force, pour ainsi dire, le style à s’agrandir ; elle donnerait de la conscience à ceux qui en ont le moins, car il n’y a pas d’exil dans quelque garde-meuble qui puisse couvrir d’un bienveillant oubli les négligences commises sur la face même d’une muraille. Les fautes sont assurées de leur châtiment comme les beautés de leur récompense. Je sais bien que ce genre de peinture a aussi ses dangers, car il peut entraîner à l’enflure du style, aux exagérations du dessin, et à toutes les folies de la décoration théâtrale ; mais, grace à Dieu, notre tendance actuelle n’est pas là : malgré quelques restes d’anarchie dans quelques jeunes têtes, le besoin de la discipline, le goût des fortes études commence à pénétrer dans l’école et