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DE LA LITTÉRATURE DES OUVRIERS.

sert de base à sa publication et à son entreprise. Ce qui est tout-à-fait en dehors de l’esprit et des développemens du siècle finit par s’éteindre et mourir : il n’y a de transformations possibles que pour les élémens d’où ne s’est pas retirée la vie générale. Régénérer le compagnonage ! Mais c’est éterniser la caste pour le peuple, c’est emprisonner l’ouvrier dans des mœurs inférieures et basses, c’est frapper au cœur l’émancipation morale et civile.

Que si maintenant cette prétendue régénération cachait une autre pensée, si elle devait servir de prétexte et de moyen pour former une espèce de ligue, d’association politique de la classe ouvrière, dont on voudrait pervertir les instincts et enflammer les passions, cette entreprise, si peu sensée et si impraticable qu’elle soit, ne devrait pas passer inaperçue des gens de bien et du gouvernement. L’idée de donner à tous les travailleurs prolétaires une organisation distincte qui les isolerait des autres citoyens est fausse et subversive de l’unité sociale. Dans ce système, où seraient les lumières et l’impartialité nécessaires à la rédaction des règlemens et des lois, et comment les prolétaires parviendraient-ils à imposer à la nation elle-même la législation qu’ils auraient décrétée ? La guerre civile est au fond de cette théorie.

La majorité de la classe ouvrière est saine ; elle aime le travail. Elle a le désir fort naturel d’améliorer sa condition, et quand elle cherche à accroître son bien-être par l’activité, par l’économie, ce louable effort veut être encouragé. Pourquoi donc les réformateurs qui parlent d’enrôler les ouvriers dans une confédération monstrueuse et unique ferment-ils les yeux devant les diverses associations philantropiques que des ouvriers laborieux ont su former entre eux ? Il y a en ce moment plus de deux cents associations créées et régies par des ouvriers : là, sur un fonds commun, on indemnise les malades, afin que l’interdiction de tout travail ne devienne pas pour eux une cause de misère ; on sert de petites pensions aux vieillards, et l’indigence ne vient plus flétrir les derniers jours de ceux que l’âge ou des infirmités éloignent des ateliers. La plupart de ces associations placent leurs fonds soit à la caisse d’épargne, soit au trésor. C’est dire assez que ceux qui en sont membres confondent leurs intérêts avec les intérêts généraux, et ne font pas d’un bouleversement social la condition de leur bonheur. Ainsi, sans bruit, sans faste, beaucoup de bien s’accomplit. Le gouvernement ne saurait accorder trop d’encouragement à ces créations utiles, et ici sa protection ne sera que justice, car les secours que distribuent ces associations allègent les