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monde ! » Le plus souvent arrivait quelque enrichi dans le commerce des blés, quelque Trimalcion, comme celui dont il est parlé dans le Satyricon, qui achetait la belle esclave à beaux deniers. Mais dans cet encan de la beauté et de l’amour, quel que fût l’acheteur, chevalier, consul, Trimalcion lui-même, quand l’esclave était payée, le premier soin de l’acheteur était de l’affranchir. Ces grands seigneurs auraient rougi de devoir leur maîtresse à l’obéissance. Il fallait que cette belle fille fût libre de leur dire « Va-t-en ! » Aussi bien n’y manquait-elle pas à la première occasion. J’en suis fâché pour les faiseurs d’utopies : on a dit que c’était l’Évangile qui avait enseigné l’affranchissement des esclaves aux peuples antiques ; ce n’est pas l’Évangile, c’est l’amour.

Une fois lâchées dans ce monde romain dont elles devenaient l’ornement, ces jeunes et belles personnes usaient de leur liberté à peu près comme font aujourd’hui les comtesses de Notre-Dame de Lorette et les duchesses de la rue du Helder. Seulement à Rome la concurrence était moins grande, les honnêtes femmes n’avaient pas encore gâté le métier tout-à-fait. Ce que les historiens latins appellent avec tant d’orgueil la dame romaine, la matrona potens d’Horace, — ces femmes qui avaient été, l’une la mère de Coriolan, et l’autre la mère des Gracques, ce dieu invisible de la famille, ces espèces de vestales mariées qui entretenaient le feu sacré de la maison, vivaient loin des passions des hommes, dans le silence, dans l’obscurité, dans le travail ; domum mansit, lanam fecit. Elles étaient encore les matrones romaines. L’infamie et la honte s’attachaient en ce temps-là, non pas sur le mari trompé par sa femme, mais sur le vil séducteur qui osait souiller le lit d’un citoyen. Par l’indignation unanime, par la réprobation universelle que causa l’escapade de Claudius, vous pouvez juger si la famille était encore protégée et défendue. Quand il avait dit, à propos de ce même Claudius, que la femme de César ne doit pas même être soupçonnée, Jules César avait formulé non pas l’opinion personnelle de Jules César, qui s’inquiétait fort peu de sa femme et de sa renommée bonne ou mauvaise, mais l’opinion déjà chancelante du peuple romain. — Ce fut donc au milieu des femmes élégantes par leur métier et par leur vocation, des femmes qui tenaient le sceptre de la conversation et de l’esprit, que notre poète Horace fut lancé tout d’abord.

Vous trouverez parmi les lettres de Cicéron une lettre où l’illustre orateur, dans toute la gravité de son bon sens, raconte qu’il a dîné la veille avec Atticus, son ami, chez la belle courtisane Cytharis. Là