Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
REVUE DES DEUX MONDES.

contre Françounette est peint avec une grande énergie ; la situation dans laquelle le poète a placé Pascal est neuve, hardie et d’un véritable intérêt. Quant au troisième chant, il contient, comme les deux premiers, des détails charmans. L’épisode du pain bénit, celui de la dévotion à la Vierge, sont pleins de couleur locale. La peinture de l’isolement affreux de la belle des belles, de son petit jardin abandonné, des consolations que lui donne sa grand’mère, et des progrès que fait son amour dans la douleur, ne le cède en rien aux plus touchans récits de ce genre. Jasmin a fait preuve, dans cette partie de son poème, d’une véritable connaissance du cœur humain ; c’est une phase nouvelle de ce talent qui a toujours grandi, et qui peut grandir encore, car Jasmin n’a que quarante-trois ans ; il est dans la force de l’âge et à cette époque de la vie où la faculté créatrice a tout son développement.

Il n’a pas mis moins de deux ans à polir son poème. C’est beaucoup sans doute, mais ce n’est pas trop pour le résultat. Après Françounetto, je n’entrerai pas dans le détail des pièces qui terminent le volume, et dont quelques-unes mériteraient cependant une mention spéciale. Nous venons de voir ce qui a été jusqu’ici la plus haute expression du génie du poète. Que le patois doive ou non périr, voilà, dans tous les cas, de quoi illustrer singulièrement sa dernière heure. Je pense que Jasmin ne s’en tiendra pas là, et on ne peut trop l’engager à persister dans la voie qu’il s’est tracée. « Je crois, m’écrit-il en m’envoyant son volume, je crois avoir peint une partie des nobles sentimens que l’homme et la femme peuvent éprouver ici-bas ; je crois m’être affranchi plus que jamais de toute école, et m’être mis dans un rapport plus direct encore avec la nature ; j’ai laissé la poésie tomber de mon cœur ; j’ai pris mes tableaux autour de moi dans les conditions les plus humbles, et j’ai fait pour ma langue ce qu’il m’a été possible de faire. »

Ce jugement que Jasmin porte de lui-même avec la noble franchise qui convient à la conscience de l’inspiration et du travail sera confirmé par tous ceux qui le liront. Dans ses premiers essais, il avait sacrifié quelquefois aux dieux du moment ; il avait fait des chansons politiques et cherché dans les poètes du jour des modèles passagers. Aujourd’hui il renonce à ces premiers tâtonnemens de son talent. Il ne fait plus de politique quotidienne : il n’imite plus les écrivains français en renom. Il s’est élevé par la réflexion solitaire jusqu’à la plus haute conception de la poésie, et il cherche ce qu’ont cherché tous ceux qui ont eu le signe sacré sur le front, la reproduction des