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diens de tout ce qu’il a conservé, de tout ce qu’il reconquiert peu à peu d’indépendance politique[1].

Chez nous, la portion de souveraineté qui revient au peuple est surtout exercée par les villes et la bourgeoisie ; dans l’Orient européen, où il n’y a que des familles et des tribus, les cités sont nulles en tant que cités. Ceux d’entre les habitans qui ont brisé le lien de communauté de la famille, afin de vivre isolés avec leurs femmes et leurs enfans, payant, travaillant, dépensant pour eux seuls, sont méprisés par le paysan comme des transfuges passés aux mœurs étrangères. Après avoir répudié leur vraie famille, ils sont forcés, pour échapper aux périls de l’isolement complet, de s’en choisir une autre ; mais c’est une famille factice. Sous le nom de confrérie, chaque corps de métiers forme une association gouvernée par des statuts particuliers, exactement comme nos corporations du moyen-âge obéissant à un chef ou juge élu par tous, qui répond de ses confrères devant l’autorité, et siége par là même, comme un des staréchines, dans le conseil du district. Mais ce juge n’est pas un staréchine de race, un chef de dynastie ; il ne représente que des intérêts mercantiles, des ménages isolés, étrangers les uns aux autres ; il est faible, car ce qui distingue les Gréco-Slaves, c’est le culte pour la pureté du sang, pour les races sans mélange ; et, tandis que, dans les vieilles sociétés, on voit se multiplier les mariages stériles, chez ces jeunes nations, au contraire, il n’y a pas d’homme plus malheureux que le célibataire ou l’époux sans enfans.

L’extrême attachement des parens pour leur race et le respect voué aux liens de la famille ont préservé l’Orient chrétien de ce fléau du célibat prolétaire si commun chez les nations d’Occident. Tandis que la polygamie dans l’Orient musulman a eu pour conséquence le célibat forcé des pauvres, une des plus graves plaies de l’islamisme, le raya chrétien, malgré sa misère, a su garder intacts les élémens de la famille, et il doit à cette circonstance la supériorité de sa race sur celle des vainqueurs. On remarque chez les chrétiens d’Orient une tendresse sans bornes pour les nombreux enfans nés de leurs unions fécondes. La moindre dureté à leur égard les révolte. À plus forte raison, l’infanticide est-il inconnu parmi eux. Les mères ne peuvent se séparer de leurs enfans ; elles voudraient les tenir

  1. Cette organisation n’existe plus malheureusement que de nom ; elle est paralysée depuis l’abolition de l’Armatolis, milice locale composée de rayas, qui seule pouvait imposer aux pachas le respect des droits communaux.