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REVUE MUSICALE.

y aurait, dans cette sphère de la musique religieuse, tout un monde à découvrir encore. Plus de sentiment, de pathétique et d’expression, la mélodie infusée avec mesure et tempérance, une forme rigoureuse et solennelle, mais libre, et pour jamais secouant les routines scholastiques : où serait le péril d’une semblable révolution conduite par un homme de génie et de goût ; et n’appartient-il pas au grand réformateur lyrique de notre temps d’y mettre la main ? On va m’objecter le drame, les habitudes théâtrales de l’auteur de Semiramide et de Guillaume Tell. D’abord il me semble que Rossini vient de prouver, dans son Stabat, qu’il savait les dépouiller en temps et lieu, ces habitudes, et d’ailleurs, quand il en resterait quelque chose, l’animation et la vie, la musique religieuse y gagnerait justement ce qui lui manque aujourd’hui. Non, l’élément dramatique, épique, ne saurait être exclu d’une œuvre d’art, quelle qu’elle soit. Est-ce donc une lettre morte que la prose latine des liturgies, et savez-vous au monde un drame plus coloré, plus tumultueux, plus grandiose que ce Dies iræ, qui a produit en peinture la chapelle Sixtine ? De quel nom appelleriez-vous une messe qui ferait le pendant du jugement dernier de Michel-Ange ?

Le Stabat que Rossini vient de produire nous semble plutôt une tentative habile, ingénieuse, dans une voie de réforme devenue aujourd’hui indispensable, que le résultat d’un système arrêté d’avance et définitif. Aussi, rien qui rappelle dans cette partition d’une importance évidemment secondaire pour le grand-maître, mais que rehaussent, aux yeux de tous, ces marques distinctives et profondes que le génie laisse à tout ce qu’il touche ; rien qui rappelle le ton superbe et convaincu, l’emphatique assurance avec laquelle les révélateurs imposent leurs idées au monde. Dans un temps comme le nôtre, où les dogmes nouveaux pullulent, en religion comme en fait d’art, le rôle de révélateur a bien perdu de son mérite, les hommes d’esprit n’en veulent plus. Aussi, voyez avec quel soin il évite ce qui pourrait ressembler à ces grands airs qu’on se donne aujourd’hui à tout propos ! Il sent de quel poids une messe de lui, un morceau capital et de longue haleine, serait en pareille question, et ne veut pas engager si loin sa responsabilité ; il lui suffit, pour cette fois, de tenter le terrain, se réservant peut-être, si l’épreuve réussit, de compléter plus tard son entreprise, et d’aborder de plus vastes sujets. En attendant, le grand maître se contente d’un simple cantique ; la prose élégiaque et douce du Stabat convient à son inspiration ; il la traduit en idées mélodieuses, voilà tout. Y a-t-il, dans cette façon d’agir toute sérieuse et digne, rien qui ressemble aux allures arrogantes de nos fondateurs de systèmes ? Il ne s’agit ici ni d’un Sanctus, ni d’un Lacrymosa, ni d’aucun autre morceau de haute consécration, mais d’un hymne détaché, d’une fantaisie en prose latine sur un motif de l’Évangile, c’est-à-dire d’un sujet qu’on pourrait, au besoin, appeler intermédiaire, et qui ne nous semble point devoir imposer au musicien cette rigidité de ton que réclament les choses appartenant spécialement au dogme. De toute manière, il n’y aurait donc point à crier tant au scandale. Je nie, pour ma part, que le sentiment reli-