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PEINTRES MODERNES.

semé de fleurs, qui mène à l’oubli. M. de Laberge n’hésita pas ; il se jeta intrépidement dans la première de ces deux voies, décidé à la lutte, encouragé par l’obstacle même.

Comme première conséquence de sa détermination, il se créa des difficultés et s’imposa des obligations qu’éludent les artistes ordinaires. Le paysagiste, à son entrée dans la carrière, doit choisir entre les deux grandes manières de voir la nature et de la traduire : la manière large et heurtée, la manière étudiée et rendue ; la manière large qui ne s’occupe que de l’effet d’ensemble, du profil et du modelé des grandes masses, qui néglige absolument tout détail aperçu en-deçà de l’extrémité d’un certain rayon. Qu’on raccourcisse ce rayon, qu’on se rapproche du tableau, tout s’efface et se confond. Le peintre a placé son point de vue à cette distance précise, et, pour bien juger son œuvre, il faut la voir de ce point de vue. Cette manière, en apparence la plus facile, est l’inévitable écueil de la médiocrité, qui la choisit de préférence à la seconde ; de grands maîtres, néanmoins, ont montré tout le parti qu’on pouvait en tirer ; Rembrandt dans ses esquisses, Rubens dans ses paysages, Constable et les chefs de l’école naturaliste de l’Angleterre lui ont dû leurs plus grands succès.

L’autre manière se préoccupe beaucoup plus de l’effet et de la perfection de chaque détail que de l’effet d’ensemble, qu’elle néglige trop souvent. Qu’un paysagiste ait à exécuter un groupe d’arbres d’après ce système, il étudiera moins les masses qui le composent que les embranchemens délicats et le feuillé caractéristique de ces masses. Il s’appliquera à rendre sa touche aiguë, arrondie, dentelée, selon la nature des arbres qu’il veut reproduire. S’il nous conduit dans une prairie, les brins d’herbes qui la tapissent, les fleurs dont elle est diaprée, arrêteront avant tout son attention ; il accumulera consciencieusement sur les premiers plans de son tableau toutes les variétés de plantes qui la meublent. Chaque chose est étudiée isolément, et plutôt pour elle-même que pour l’effet d’ensemble du tableau, auquel elle n’est pas toujours suffisamment subordonnée. C’est la manière des Wynants, des Karel du Jardin et du Breughel, qui ont trop souvent sacrifié l’effet d’ensemble à l’effet de détail.

M. de Laberge inclina d’abord vers la première de ces deux manières ; il en sentit bientôt l’insuffisance ; et puis c’était la manière alors en vogue, celle que le vulgaire préférait. Nos paysagistes étaient arrivés à ne peindre que des esquisses ; l’idée de ressembler à tout le monde dégoûta le jeune peintre comme elle dégoûte tout artiste délicat. Il n’avait étudié que l’un des côtés de la nature, il