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PEINTRES MODERNES.

Son tableau de la Visite du médecin, d’une tout autre valeur à notre avis que celui de la Vue normande[1], l’un des plus remarquables paysages qu’ait même produits l’école française moderne, montra cependant chez l’artiste un penchant trop décidé à incliner vers l’une des deux manières qu’il se proposait de combiner : celle qui tend à exagérer le fini.

L’extrême rendu de chaque détail séparé de l’entente du grand effet d’ensemble cesse d’être une qualité et devient un défaut. Si M. de Laberge ne tomba pas dans ce défaut, on put lui reprocher de la sécheresse, de la raideur, et une précision poussée jusqu’à la dureté, particulièrement dans les masses du feuillé. Mais, en faisant la part de la critique, on devait aussi convenir que sa peinture unissait à un grand aspect de vérité une admirable solidité de ton et une vigueur d’effet peu commune. Pour notre part, nous souhaitâmes dès-lors que M. de Laberge, dont les théories, peut-être un peu trop absolues et exclusives, commençaient à nous inquiéter, persévérât franchement dans cette voie, tout en cherchant à assouplir son talent et à acquérir une certaine aisance d’exécution qui lui manquait. Vouloir exprimer davantage, c’était compromettre son avenir de grand artiste par l’exagération même de ses qualités.

M. Charles de Laberge sentait différemment et n’était pas satisfait de ses précédentes tentatives, même sous le rapport du fini. « Je suis sûr de moi pour tout ce qui est fabrique ou terrain, nous disait-il, mais pour la végétation c’est autre chose, j’ai beaucoup à étudier. » Et en effet, il redoublait d’assiduité et d’efforts ; on eût dit qu’il voulait prendre la nature corps à corps et la soumettre. Ce qu’il voyait dans un paysage et ce qu’il tentait de reproduire dans ses tableaux est inimaginable. Son œil avait la puissance et la netteté de la longue vue, sa main l’adresse et la précision du daguerréotype. L’imitation portée si loin a bien des inconvéniens. L’un des plus réels, c’est l’énorme dépense de temps qu’elle exige. Cinq étés passés dans les montagnes du Bugey, chez M. d’Arloz, son hôte d’abord, et plus

  1. Le tableau de la Vue normande a été acheté par le roi ; la Visite du médecin appartient au duc d’Orléans. Deux autres tableaux de M. de Laberge ont été achetés par des étrangers, et sont, je crois, en Russie. Cet artiste laisse plusieurs autres compositions qu’on peut regarder comme achevées, quoiqu’il ne les trouvât encore qu’à l’état d’ébauches. Sa famille possède en outre une suite d’études et de dessins dont quelques-uns, traités à la plume, sont de véritables chefs-d’œuvre. M. de Laberge avait appliqué sont système au portrait ; ses essais dans ce genre prouvent qu’il eût pu y exceller. Le portrait de sa mère, l’un des derniers qu’il ait exécutés, a toute la finesse et la précision des meilleurs tableaux de Holbein.