Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/683

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
673
LETTRES DE CHINE.

contre la muraille de la Chine. Non ; quelque violente que soit la crise qu’elle éprouve, je crois à cette grande nation trop de vitalité encore pour qu’elle puisse tomber sous l’effort d’un seul coup. Je parlerai plus tard des conséquences que pourrait avoir pour elle un échec, sinon probable, du moins possible ; jusqu’ici je ne veux voir dans ce choc de deux mondes que la marche de cette œuvre de progrès qui, depuis dix siècles, par une puissante réaction, tend à faire refluer la lumière vers les contrées qui nous l’ont donnée.

Il y a un autre point de vue sous lequel on peut envisager la situation de l’Angleterre relativement à la Chine. Comme je le disais, pour les nations, une loi plus forte que toutes les autres lois, ou plutôt un intérêt qui les fait taire toutes, c’est l’intérêt de l’existence et de la conservation. Si nous admettons cette vérité, peut-être un peu controversible, nous trouverons dans son application la justification de l’Angleterre. Vous connaissez bien mieux que moi, monsieur, la situation du peuple anglais, et cependant, si, comme moi, vous aviez pour mission, pour devoir, d’étudier les immenses efforts qu’il fait pour chercher, jusque dans les pays les plus éloignés, les élémens de subsistance dont il a besoin ; si vous le voyiez, comme moi, tendre tous les ressorts de sa politique, de sa puissance, pour trouver de nouveaux débouchés à une activité qui le fatigue et le tourmente, pour faire déborder sur d’autres contrées les produits d’une industrie dont l’accroissement doit l’effrayer, vous ne vous étonneriez plus que l’Angleterre mette en jeu son existence, afin de s’ouvrir un nouveau monde. Les causes principales de la situation actuelle sont sous vos yeux ; elles sont à Manchester, à Glasgow, à Birmingham ; elles sont dans les lois encore féodales de l’Angleterre, et dans cette immense population des villes industrielles menacées de mourir de faim, si leur gouvernement ne va chercher pour elles, aux extrémités du monde, une nourriture que leur terre natale ne peut leur donner, et que l’ancien monde commence à leur refuser. La cause de la guerre que l’Angleterre fait à la Chine est la crise même qui la travaille et qu’aperçoivent les yeux les moins clairvoyans. Oui, l’Angleterre est dans une situation alarmante et dont elle ne pourra sortir que par des efforts surhumains. Les triomphes même qu’elle a obtenus au commencement de ce siècle l’y ont amenée. Il y eut un moment où le monde entier s’était ligué contre elle et où elle dut se faire grande comme le monde. C’est alors que nos pères virent l’Angleterre déployer ses immenses ressources qu’on put croire un instant inépuisables : c’est alors que la nation se montra tout entière soulevée par une volonté énergique et animée d’un esprit national plus fort que la puissance matérielle. Sa dette elle-même fut un nouveau moyen de puissance en rendant la nation responsable des actes du gouvernement ; mais ces efforts devaient l’affaiblir : elle chercha dans son immense commerce une nouvelle source de richesse et de grandeur. Maîtresse de la mer, elle profita de sa supériorité pour conquérir les nouveaux marchés du globe. La nation devint tout entière commerçante.

Quand la paix vint la relever de son fardeau, les ressorts étaient trop tendus pour qu’ils pussent se relâcher tout d’un coup. D’ailleurs, il fallait