Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/690

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
680
REVUE DES DEUX MONDES.

taires fonciers, de lever à leur profit un impôt sur le pays. Sans doute ces lois permettaient d’étendre en Angleterre la culture du blé, d’y appliquer des terres de qualité inférieure, des terres que la nature avait destinées aux pâturages, aux broussailles. On n’a jamais nié qu’on ne puisse faire naître du blé partout. On obtient, dans les serres anglaises, de magnifiques raisins ; que dirait-on d’un bill qui, pour encourager cette culture, défendrait l’importation en Angleterre des vins de Portugal, de France et d’Espagne ? Sir Robert Peel pense qu’il importe à l’Angleterre de pouvoir, dans les années ordinaires, se suffire à elle-même pour la production du blé. Si cela était vrai de l’Angleterre, il faudrait, à plus forte raison, l’affirmer de toutes les autres parties du globe. Mais nous ne saurions prendre au sérieux sur ce point la doctrine de l’illustre orateur. L’Angleterre, parvînt-on à supprimer tout droit, produira toujours une quantité considérable de blé, parce que l’agriculture anglaise est très perfectionnée, que les capitaux abondent dans le pays, et que le génie anglais devance tous les autres, je ne dis pas dans les découvertes, mais dans les applications de la puissance scientifique à la production. Nulle part on n’entreprend tout ce qui est utile avec plus de moyens, avec plus de hardiesse et de persévérance qu’en Angleterre. L’importation du blé ne peut donc jamais s’élever au-delà d’une quantité dont le maximum et le minimum seraient facilement assignables. Or, certes, pour cette quantité, l’Angleterre, avec sa marine, son commerce, son influence politique et ses immenses possessions dans les cinq parties du monde, ne peut pas concevoir de craintes sérieuses. Elle paiera, il est vrai, le blé plus ou moins cher, selon les années et les circonstances générales du marché ; mais c’est là tout le risque auquel elle s’exposerait, même dans l’hypothèse de la suppression de tout droit. Ajoutons que l’Angleterre y trouverait de nouvelles ressources pour son commerce manufacturier. Les pays à blé, ceux du moins qui peuvent en exporter de grandes quantités, sont des pays d’une civilisation arriérée, des pays dont les besoins physiques comme les besoins moraux ne sont pas encore développés. C’est par le commerce qu’ils peuvent s’animer, que le feu sacré peut circuler dans leurs veines, et les appeler à une vie qui leur est encore inconnue. Qu’ils puissent vendre à un prix raisonnable ce blé dont ils n’ont que faire, et les acheteurs de blé pourront bientôt leur apporter, au lieu d’or, des étoffes, des meubles, des denrées de toute espèce. À qui ce commerce appartiendrait-il, si ce n’est à ceux qui iront acheter leur blé, à ceux avec lesquels ils auront l’habitude de traiter ? Ce sont là des conquêtes réelles, des conquêtes plus utiles peut-être, mais, à coup sûr, moins coûteuses que celles qu’on peut faire dans l’Inde et à la Chine. Ainsi qu’on adopte le bill proposé, ou qu’on préfère une mesure plus libérale encore, l’Angleterre n’a rien à craindre pour les approvisionnemens de son marché.

D’un autre côté, nous ne sommes pas de ceux qui imaginent que la diminution des taxes sur l’importation du blé, et la baisse du prix des céréales, qui en sera la conséquence, fera disparaître à tout jamais toutes les misères du royaume-uni et commencer l’âge d’or pour l’ouvrier anglais. Ce sont là les