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LETTRES DE CHINE.

à obtenir des contrebandiers de la côte la reddition de la marchandise prohibée, comme il avait su l’obtenir des contrebandiers de Lintin et de Macao ? Le capitaine Elliot sentit que tous les raisonnemens seraient inutiles vis-à-vis d’un grand nombre de ses compatriotes, et que l’appât du gain serait pour eux plus fort que la crainte du danger. La majorité des négocians l’avaient senti comme lui ; mais il n’est pas dans la nature humaine d’assumer sur soi la responsabilité des fautes commises, on cherche toujours à les faire peser sur d’autres. Aussi, dès le moment où le commerce anglais en Chine commença à voir clairement sa position et ses pertes, M. Elliot ne compta-t-il que bien peu d’amis parmi ces mêmes hommes qui naguère le regardaient comme un sauveur.

Il paraîtrait, à en croire les documens que j’ai sous les yeux, qu’après la livraison de l’opium, le commissaire impérial donna à entendre qu’il n’était pas éloigné de permettre la reprise des affaires. La pièce où Lin fait part de cette condescendance est conçue, comme tous les documens des autorités chinoises, en termes très pompeux ; il est ému de compassion, dit-il, pour les hommes qui sont venus de si loin et dont les pertes sont si considérables ; il parle de l’inépuisable bienveillance de la céleste dynastie. Il ne fait qu’effleurer l’objet principal de cette proclamation, il semble qu’il n’y prenne qu’un médiocre intérêt ; mais les personnes qui connaissent le langage officiel de l’empire sont habituées à discerner le véritable esprit des documens sous cet amas de phrases dont les Chinois ne sont jamais si prodigues que quand il s’agit d’obtenir une chose avantageuse. Du reste, vous aurez pu vous assurer, par les divers documens chinois que les journaux vous ont fait connaître, qu’il est rare qu’un édit ou décret ne soit pas accompagné de sa justification.

Les négocians anglais repoussèrent les ouvertures de Lin, quoique plusieurs d’entre eux doutassent, ainsi que je l’ai dit, de l’étendue des pouvoirs du capitaine Elliot. Le surintendant anglais, dans les explications qui lui furent demandées, tint le seul langage qui lui fût permis. Il déclara qu’il n’y avait pas embargo de la rivière de Canton, car un embargo ne pouvait être qu’un acte de gouvernement, et qu’il n’était pas autorisé à prendre sur lui une aussi grande responsabilité ; mais il prévenait les commerçans anglais que l’entrée de leurs navires en dedans du Boca-Tigris pourrait avoir les conséquences les plus funestes, et il enjoignait de la manière la plus emphatique (enjoining in the must emphatic manner) à tous armateurs, capitaines, subrécargues ou consignataires, de ne pas permettre qu’aucun navire anglais franchît la limite désignée jusqu’à ce que les résolutions du gouvernement de sa majesté britannique fussent connues.

La situation des négocians anglais était donc très difficile. L’immense mouvement commercial qui avait son débouché à Canton ne pouvait s’arrêter, sans qu’il en résultât pour eux et pour leurs constituans de l’Europe et de l’Inde des pertes considérables. Le gouvernement chinois leur ouvrait les portes de Canton et les appelait ; aucun ordre positif de leur gouvernement ou de ses agens ne les arrêtait ; des motifs déduits des circonstances passées