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pouvaient seuls les retenir, et ces motifs étaient d’une gravité fort contestable pour beaucoup d’entre eux. Cependant la crainte de compromettre leurs réclamations pour l’opium livré, et d’exposer à des dangers, dont la déclaration du capitaine Elliot les rendait seuls responsables, les intérêts de leurs mandataires, les engagea à se soumettre aux injonctions du surintendant, et à résister à toutes les avances des autorités chinoises. Il résulta de cette décision une situation commerciale, pour ainsi dire, sans exemple.

C’est à cette époque que commença la scission entre les négocians anglais et les négocians américains. Ces derniers avaient, pour la plupart, signé l’engagement exigé par les autorités chinoises. Ils étaient retournés à Canton et y faisaient des affaires d’autant plus avantageuses qu’ils y étaient sans concurrens. Les journaux de Canton furent bientôt les organes d’une polémique qui ne fut pas toujours inspirée par l’esprit de modération et de dignité qu’on aurait pu s’attendre à voir régner dans ce débat.

Sur ces entrefaites, le 7 juillet 1839, arriva un accident qui compliqua de nouveau la situation des Anglais en Chine, et qui eut de très graves conséquences. Dans une querelle entre des matelots anglais et américains et des Chinois, un de ces derniers fut tué. La loi chinoise, qui demande vie pour vie, était bien connue : on s’efforça d’en paralyser l’action en achetant le silence des parties intéressées ; mais l’accident et les transactions qui en avaient été la suite parvinrent bientôt à la connaissance des autorités supérieures. Les édits se succédèrent aussitôt. Les autorités chinoises exigeaient qu’on leur livrât le meurtrier, afin qu’il fût jugé d’après leurs lois. Elles allèrent plus loin : à défaut du meurtrier, elles demandèrent qu’on leur livrât un Européen quelconque, afin, disaient-elles, que le sang fût vengé par le sang. M. Elliot se refusa avec raison à cette étrange prétention ; d’ailleurs, le coupable n’était pas connu.

M. Elliot prit, à cette époque, une détermination peut-être trop hardie ; il institua à Hong-kong une cour d’assises qu’il appela cour de justice avec juridiction criminelle et d’amirauté, pour le jugement des offenses commises par les sujets de sa majesté britannique dans les pays sous la domination de l’empereur de Chine, dans les ports et hâvres de l’empire et dans les mers qui s’étendent à cent milles des côtes de la Chine.

La première séance de cette cour eut lieu le 12 août, et devant elle furent traduits les marins dénoncés comme ayant pris part aux désordres du 7 juillet. Un grand jury et un petit jury furent formés ; on entendit les dépositions et la défense ; l’accusation de meurtre fut écartée, mais cinq marins furent déclarés coupables d’avoir commis de très graves désordres à Hong-kong, d’avoir frappé, battu et blessé plusieurs Chinois, hommes, femmes et enfans, etc. M. Elliot prononça lui-même la sentence par laquelle ces cinq hommes furent condamnés à 500 francs d’amende et à subir la peine des travaux forcés pendant six mois dans telle prison du royaume-uni qu’il plairait à sa majesté de désigner, à dater du jour de leur écrou dans ladite prison.