Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/878

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
868
REVUE DES DEUX MONDES.

s’écria le garçon meunier, que nous avions pris avec nous, et l’écho répéta « mille fois » intelligiblement. — Or ça ! ne perdons pas à dormir cette belle nuit ; debout, jeunes filles, debout ! dit un chasseur de la compagnie ; il s’agit maintenant de chanter. — Et les jeunes filles, déjà presque assoupies, se levèrent, moitié souriant, moitié boudant. La virtuose aveugle accorda sa harpe. — Bravo ! reprit le garçon meunier, entonnons tous un lied de voyage.

« — Non, plutôt des lieds qui parlent de la nuit, des fleuves et de la mer, de vrais lieds à chanter sur un bateau, dit le marinier. Et nous commençâmes ainsi qu’il suit, au battement des rames, aux sons de la harpe qui nous accompagnait :

C’était au mois de mai : les belles jeunes filles
De Tübingen dansaient sous les vertes charmilles ;

Elles dansaient, dansaient en leur croissante ardeur,
Autour d’un frais tilleul, dans la vallée en fleur.

Un jeune homme étranger, de superbe apparence,
Vers la plus belle vierge en souriant s’avance,

Lui présente la main, et couvre ses bandeaux
D’une verte couronne à la couleur des flots.

— Jeune homme, la pâleur de ta main, d’où vient-elle ?
— Dans le fond du Neckar il fait si froid, ma belle !

— Ô jeune homme ! d’où vient qu’il est glacé, ton bras ?
— La chaleur du soleil sous l’eau ne plonge pas.

Loin, bien loin du tilleul, il l’entraîne, il l’entraîne.
— Jeune homme, laisse-moi ; quelle angoisse est la mienne !

Par sa taille élancée il la saisit soudain.
— Te voilà, belle enfant, la femme de l’Ondin.

Toujours dansant, il plonge au sein des eaux profondes.
— Ô mon père ! ô ma mère ! ô mes compagnes blondes ! —

Et lui donne pour chambre un palais de cristal.
— Adieu, mes blanches sœurs dans le vallon natal !

« Maintenant laissez, que je chante un lied d’amour et d’adieux, dit la jeune fille à la harpe. Elle accorda sa harpe, puis elle et le garçon chantèrent :

« — Qui te rend, bien-aimé de mon cœur, la joue ainsi pâle ? Qui te mouille ainsi les yeux de larmes ?
« — Ô chérie, chérie de mon cœur ! j’ai tant de peine ; il me faut aller loin d’ici, bien loin, au-delà de la mer !