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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

Cette malheureuse disposition à voir sans cesse et partout des esprits ne fit qu’empirer par le mariage. La médecine ne comprenait plus rien à cet état contre lequel tous les traitemens avaient échoué. Elle, cependant, languissait et dépérissait de jour en jour ; plus de sommeil, ses longues nuits se passaient dans les sanglots et les extases. Une faiblesse mortelle l’accablait, et l’approche d’un être humain la jetait dans l’épouvante et la convulsion. Elle allait mourir, lorsqu’après avoir tout essayé, jusqu’aux expériences magiques, sympathiques, jusqu’aux exorcismes (un moment on l’avait crue sous une influence démoniaque), sa famille la conduisit à Weinsberg, et, tentant une dernière chance de salut, la remit entre les mains du docteur Kerner, déjà célèbre dans le pays par ses recherches sur le somnambulisme et ses spéculations magnétiques.

Une fois Kerner en possession de sa cataleptique, il ne la quitte plus d’un seul instant ; il la surveille, il l’observe, il l’étudie, il écrit presque sous la dictée de cette organisation de sensitive ; pas un mot, pas un geste, pas une divagation de la visionnaire, dont il ne prenne note pour la recueillir ensuite et la commenter dans son livre, résumé curieux de tous les rêves, de tous les pressentimens, de toutes les émotions surnaturelles qui ont agité jusqu’à sa mort cette malheureuse créature ; tristes annales, en vérité, quand on songe à la condition cruelle que fait la société moderne aux infortunés de cette espèce ! Encore l’antiquité avait pour eux une sorte de vénération mystique ; et ce culte sacerdotal dont ils étaient l’objet, s’il ne pouvait s’appeler une compensation aux douloureuses conséquences d’une susceptibilité maladive incessamment éveillée, du moins les aidait à prendre leur sort en patience, et, si j’ose le dire, abondait dans le sens de leur infirmité, en les tenant à l’écart d’un monde où l’état magnétique les empêchait de vivre. L’état magnétique, devenu désormais une expérimentation presque banale, une science en règle ayant ses adeptes et ses détracteurs, une chose que les incrédules peuvent toucher du doigt et dont les charlatans trafiquent, était alors un mystère sacré dans le sanctuaire des dieux, un délire sublime que le prêtre irritait aux fumigations du laurier de Castalie et qu’il exploitait au profit de sa politique. On élevait alors les somnambules dans les cellules du temple, au fond du tabernacle, où ils vivaient en reclus solitaires, dans un demi-jour favorable à l’extase, dans le solennel recueillement de la majesté divine. Dans l’antiquité, le somnambulisme porte avec lui un caractère grandiose ; il est poli-