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DE LA POÉSIE LYRIQUE EN ALLEMAGNE.

presque normal ; un être suspendu par une fixation mystérieuse entre la mort et la vie, et plongeant déjà plus dans le monde qui s’ouvre devant lui que dans l’autre, et l’on aura peut-être une idée assez juste de la visionnaire en tant qu’appartenant à la nature humaine. Et qu’on ne prenne pas ce que j’avance pour une imagination de poète. Combien d’hommes ne voit-on pas auxquels un monde nouveau se révèle à l’instant de la mort, un monde dont ils racontent aux assistans les apparitions surnaturelles ! Eh bien ! prolongez pour un être humain ce moment qui chez les mourans n’est qu’un éclair, et vous aurez l’image de cette visionnaire ; mais, je le répète, ce que je dis est l’absolue vérité, la vérité pure et sans alliage poétique…

« En fait de culture intellectuelle, Frédérique n’en avait reçu aucune ; elle en était restée là-dessus aux simples dons de la nature, n’avait point appris de langue étrangère, et, comme on le devine, ne savait pas un mot d’histoire, de géographie, de physique, et de toutes les sciences qu’on ignore d’ordinaire dans cette condition. La Bible et un livre de cantiques faisaient, pendant ses longues années de souffrance, son unique lecture. Quant à sa moralité, elle était sans reproche. Pieuse, mais sans affectation, elle avait coutume de rendre grace à Dieu de la résignation qu’il lui donnait dans la douleur, ainsi qu’on peut le voir par les vers suivans qu’elle écrivait dans son sommeil :


« Dieu puissant, que ta miséricorde est grande ! Tu m’as envoyé la foi et l’amour, mes seules forces dans l’excès de mes maux. Dans la nuit de mes angoisses, je m’étais laissée aller jusqu’à souhaiter le repos dans une mort prochaine, lorsque la foi est venue, énergique et profonde, lorsque l’espérance est venue et l’amour éternel, pour clore mes paupières terrestres. Ô volupté ! mes membres gisent morts, et dans mon être intérieur une lumière flambe, une lumière que nul dans la vie réelle ne connaît. Une lumière ? Non, une illumination divine ! »


« Il lui arrivait aussi, mais cela seulement lorsque les souffrances devenaient plus cruelles et dans le paroxisme de l’état magnétique, de composer des prières en vers. En voici une qui m’a paru digne d’être citée :


« Père, exauce-moi, exauce ma prière ardente ! Père, je t’invoque, ne laisse pas mourir ton enfant ! Vois ma douleur, mes larmes ; souffle-moi l’espérance dans le cœur, apaise mon désir languissant. Père, je ne te laisse pas, bien que la maladie et la douleur me consument, et que la lumière du printemps ne brille plus pour moi qu’à travers un nuage de larmes. »


« Comme à cette époque je m’occupais déjà de poésie, la première idée qui dut naître fut que la visionnaire avait reçu de mon influence magnétique l’inoculation de ce talent, opinion du reste assez vraisemblable, et de laquelle je me serais rangé, si un fait plus puissant que toutes les inductions n’était venu la contredire. Frédérique avait en elle le don poétique avant même de