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L’ART MODERNE EN ALLEMAGNE.

Cet abus de la pensée chez les artistes allemands tient souvent à l’influence trop marquée que les gens de lettres ont toujours exercée sur les peintres, influence qu’un de leurs critiques, M. de Rumorh[1], nie tout-à-fait à tort. Cette influence est fort sensible. Il suffit, pour se bien convaincre de ses effets, de jeter seulement un rapide coup d’œil sur les sujets que traitent de prédilection les peintres des principales écoles. Souvent, il est vrai, ces artistes ne se sont faits que les traducteurs des poètes et des romanciers, et nous ne pouvons les blâmer lorsque cette traduction s’applique à des ouvrages que le succès a consacrés. Le roi de Bavière faisant paraphraser, par ses peintres, Homère, Hésiode, Pindare, Anacréon, Eschyle et Aristophane, nous a paru obéir à une heureuse inspiration d’artiste et d’homme de goût. Les critiques que nous pourrions faire de ces grands travaux s’appliqueraient donc moins au système qui les a conçus et dirigés qu’au mode d’exécution suivi pour les exprimer ; l’ensemble et l’unité qui les caractérisent méritent l’approbation de la critique, qui ne saurait trop encourager toute tentative de ce genre ; ces qualités ne compensent cependant pas absolument ce que l’exécution matérielle a de défectueux.

Ce même système de traduction peinte appliqué aux grandes épopées allemandes mérite également d’être approuvé ; la poésie héroïque, comme la fable et l’histoire, sont du domaine de la peinture ; mais lorsque l’artiste, par une application erronée de son art, veut exprimer des abstractions, lorsqu’il prétend exposer un système de philosophie ou développer une théorie morale, il fait fausse route, s’égare dans les ténèbres, ou se perd dans les nuages. On a dit quelque part, avec une apparence de raison, que le peintre devait se borner à donner un corps et une forme à la pensée que le philosophe lui fournirait ; nous croyons que l’on serait plus près du vrai en exhortant le peintre à être tout à la fois le metteur en œuvre et le penseur, l’artisan et le philosophe ; obligé de se comprendre, il courrait moins souvent le risque de rester incompréhensible ; les fantômes qu’il aurait créés, produit de son imagination et non du calcul, auraient droit d’émouvoir le public, ce juge capricieux que dégoûtent d’abstraites personnifications, que glacent de froids symboles.

M. Fortoul prétend quelque part que les travaux de Heyne, de Woss, de Bœcke, d’Ottfried Müller, de Schelling et de Hegel sont

  1. De Rumorh, Influence de la littérature sur la nouvelle activité artistique des Allemands. Cette notice est insérée dans l’ouvrage du comte de Raczynski.