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LES ANGLAIS DANS LE CABOUL.

l’Inde se refusait systématiquement à toute intervention dans les affaires des princes indigènes. Quand, en 1832, le Shah-Soudja voulut reconquérir son royaume sur les Barukzis, l’Angleterre lui refusa même de l’argent. Le triste monarque s’en allait partout quêtant un banquier, et cherchant un mont-de-piété pour ses diamans. Il écrivait à son agent auprès du résident anglais : « Malgré tous mes efforts pour réaliser deux ou trois sacs de roupies en engageant mes diamans, je n’ai pu réussir à rien. J’ai envoyé chez des banquiers à Umritsir, à Delhi, pour négocier l’affaire ; quelques-uns ont paru d’abord consentir, puis ils ont retiré leur parole, ce qui m’a mis dans le plus grand embarras… Tâchez de me trouver un banquier[1]. »

Ne pouvant trouver de banquier, le prince errant demandait l’aumône au gouverneur de l’Inde et le suppliait en grace de lui avancer six mois de sa pension. Le résident anglais hésitait : « Une si grande avance, écrivait-il au secrétaire-général, qui ne manquerait pas de devenir publique, pourrait faire croire que le gouvernement encourage son entreprise. » Cependant lord William Bentinck, prenant en pitié cette grandeur déchue, finissait par accorder au shah, non pas six mois, mais seulement quatre mois de sa pension ; en même temps il lui écrivait paternellement : « My friend, je dois vous prévenir très catégoriquement que le gouvernement britannique s’abstient religieusement de toute intervention dans les affaires de ses voisins, quand il peut l’éviter. Votre majesté est, comme de juste, maîtresse de ses actions, mais lui donner de l’assistance ne serait pas compatible avec la neutralité qui est la règle de conduite du gouvernement britannique. » Lord William Bentinck écrivait aussi au roi de Lahore : « Mon honoré et estimable ami, votre altesse dit que le Shah-Soudja se propose de faire une tentative pour recouvrer son trône. C’est une affaire qui ne regarde en rien le gouvernement britannique, et, en conséquence, il ne s’est pas donné la peine de s’en informer. La fortune du shah dépend de la volonté de la Providence. » Et en effet, les Anglais abandonnèrent le shah à la Providence, qui l’abandonna aussi.

Cinq ans après tout est changé, et au principe de neutralité a succédé la politique nécessaire de l’intervention. Pour mieux faire comprendre la question, nous pourrons aisément choisir un exemple qui nous touche de plus près. La position du royaume de Caboul et du

  1. Correspondence relating to Afghanistan.