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LE SALON.

D’où lui viennent-elles ? Nous l’avons dit déjà, la critique est lasse, et, puisqu’il faut l’avouer, un peu ennuyée ; elle trouve que l’art devient importun et voudrait bien ne pas se déranger si souvent pour lui. Comme elle ne sait plus trop quoi lui dire, elle préférerait n’être plus appelée à s’expliquer. Il se passe quelque chose d’analogue dans la critique littéraire, assaillie qu’elle est de romans, de vaudevilles et de vers ; elle aussi soupire après le repos.

Cette indifférence qu’on peut partager, sans l’approuver, n’a rien d’extraordinaire. C’est celle qui succède inévitablement à tous les mouvemens un peu violens de l’opinion. La fortune de la littérature et celle de l’art sont communes. Après le grand bruit qui s’est fait dans ces deux régions pendant quelque dix ans, il a bien fallu s’attendre à un peu de silence. Ce bruit et ce mouvement ont cessé faute d’alimens. L’expérience ayant à peu près mis à leur place toutes les idées d’alors, donné leur valeur à toutes les prétentions et à toutes les espérances, en un mot classé les hommes et les choses, il est arrivé qu’on a cru s’être battu pour rien, et chacun est rentré chez soi bien résolu de n’avoir désormais de la passion qu’à bon escient. Dès qu’il n’y a plus eu, au salon, des hommes et des idées en présence et en lutte, et lorsque la critique n’y a trouvé que ce qu’y trouve le public, des statues et des tableaux, elle s’est dégoûtée de son œuvre. Sa mission n’étant plus un combat et se réduisant à un simple arbitrage portant sur de pures abstractions, elle la répudierait ou du moins l’ajournerait volontiers, et c’est à son corps défendant qu’elle recommence chaque année une nouvelle campagne dont elle n’attend ni émotions, ni résultats. Ceci se réduit, comme on voit, à un péché de paresse.

Mais cette cause de relâchement n’est pas la seule ; il en est une autre encore plus grave, quoique plus cachée, et toute spéciale à la critique de l’art, telle qu’elle existe en France depuis Diderot, qui a donné le ton en ce genre, et qui y est resté le maître. Nous voulons parler du défaut de rapport qui existe intellectuellement entre l’artiste et la critique. Le point de vue d’après lequel le premier compose son œuvre et qui le guide à chaque pas de sa création, est le plus souvent si différent, ou du moins si éloigné de celui où se place d’ordinaire le second pour la juger, qu’il est aisé de prévoir combien il leur sera difficile de s’entendre. De là le peu de faveur de la critique auprès des artistes ; ils la craignent assez, comme c’est bien naturel, et la caressent en conséquence, mais ils ont au fond très peu de respect pour elle. Sa compétence leur est plus que suspecte,