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de louables efforts ; vient ensuite la masse qui ne fournit pas même un prétexte à la critique.

La mort inattendue de François Bouchot, artiste jeune encore, frappé au milieu de succès brillans et d’une popularité qui pouvait devenir de la gloire, a répandu une teinte mélancolique sur cette toile inachevée où il a retracé un naïf et charmant épisode de la vie de Jésus, le Repos en Égypte. Rien dans les Funérailles de Marceau, sauf le talent, n’aurait fait soupçonner que cet artiste dût laisser son dernier mot dans une page du style et du sentiment de celle-ci. La Vierge, assise et vue de profil, incline légèrement sa tête appesantie par le sommeil ; son bras droit, abandonné, tombe négligemment, tandis que le gauche, ramené en avant sur sa poitrine, ne laisse voir que la main sur laquelle s’appuie l’enfant debout auprès de sa mère. Saint Joseph dort aussi la tête appuyée sur une de ses mains. Cette composition laisse voir des traces du souvenir des derniers maîtres de l’école lombarde et bolonaise. Le goût des draperies et le caractère du style font songer au Parmesan, dont la grace un peu coquette et l’élégant maniérisme ont passé, non sans quelque réussite, dans la pose, dans les contours et l’ajustement de la madone de Bouchot. Son sommeil est plein d’élégance ; on ne saurait dormir avec plus d’esprit. La couleur n’a pas la même distinction ; elle est un peu dans le goût conventionnel et fade des maîtres français qui peignaient du temps de Vanloo. L’idée de mettre dans les yeux du petit Jésus l’expression réfléchie d’une pensée sérieuse et profonde, en le faisant rêver à sa mission, pendant que ses parens, succombant aux besoins terrestres, se livrent au repos, est peut-être plus subtile qu’heureuse. Cet air d’absorption méditative dans un enfant au maillot est un anachronisme psychologique qu’on n’accepte pas aisément. Cette difficulté ne valait pas la peine d’être cherchée, car, en la supposant pleinement vaincue, le résultat n’aurait rien ajouté à l’effet du tableau. Le ton doux et fin, répandu partout comme un léger voile, s’accorde au caractère calme de la scène. Loin de rien perdre à n’être pas entièrement fini, cet ouvrage nous semble y gagner. Il y a, en effet, ou du moins on trouve presque toujours dans les ébauches des peintres une certaine fleur d’invention, de hardiesse et de sentiment que conserve rarement l’œuvre terminée. Il est possible aussi que la triste et pieuse émotion que la vue de ces traits inachevés éveille involontairement, ajoute quelque chose à l’intérêt de cette peinture.