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LE SALON.

On a placé à côté de cette madone une autre composition de Bouchot qui offre, dans de très petites proportions, une grande scène. C’est Bonaparte, arrivé au mont Saint-Bernard, montrant à ses soldats, sans souliers et sans pain, les vastes et magnifiques plaines d’Italie sur lesquelles ils vont s’abattre. Cette esquisse est remarquable par l’énergie des expressions et la vivacité de la touche ; mais ce n’est qu’un projet, et, en peinture, c’est peu de chose qu’un projet. Il y avait assurément, dans le talent de Bouchot, beaucoup de distinction et d’intelligence ; mais l’empressement dont ses dernières productions sont l’objet paraît tendre singulièrement à l’exagération. Aux yeux des contemporains, ce n’est pas un petit mérite à un homme que d’être mort. Ce mérite-là rehausse toujours beaucoup les autres et quelquefois en tient lieu.

Parmi le très petit nombre de compositions à sujets religieux qui valent la peine d’être citées, il en est une dont l’aspect extraordinaire et la singularité ont des droits au moins à la surprise : c’est la Descente de croix de M. Chasseriau. Cette peinture n’est pas modeste. Si les vues ambitieuses qu’elle affiche étaient justifiées, il ne s’agirait de rien moins que de saluer en elle un des évènemens les plus imprévus et plus improbables dans nos temps, l’apparition d’un nouveau grand maître. Les prétentions de cette œuvre semblent, en effet, monter jusque-là. On conçoit dès-lors quelle serait, de cette hauteur, la gravité d’une chute. Pour les témérités de cette force, ne réussir qu’à demi, c’est tomber. Tel paraît être malheureusement le cas de M. Chasseriau. Ce n’est pas que nous partagions l’avis de ceux, en très grand nombre il faut l’avouer, qui ne voient dans cet ouvrage qu’une déplorable mésaventure. Il nous semble au contraire y apercevoir çà et là, confusément il est vrai et comme au sein d’un chaos, quelques empreintes d’une pensée et d’un sentiment nullement méprisables. Mais il n’est pas moins vrai que cette impression favorable est si ouvertement contredite par d’autres d’une nature opposée et bien autrement puissantes, qu’elle ne fait que traverser l’esprit par intervalles, sans s’y établir ; et, chaque fois qu’elle s’y représente, on s’empresse de la chasser comme une mauvaise tentation.

Certains défauts de cette peinture sont écrits certainement en assez gros caractères, pour qu’il soit facile à chacun de les lire. Et, d’abord, quelle est l’action qu’a voulu représenter l’artiste ? D’après le titre mis à son tableau, ce serait une Descente de croix ; mais il est évident que sa peinture donne tout autre chose. Nous ne voyons pas