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ici, comme dans les fameuses compositions de Daniel de Volterre, du Baroche, de Rubens, de Jouvenet, de Lebrun, pour ne citer que les plus connues, le corps du Christ, détaché de la croix, en descendre, soutenu d’en bas ou retenu d’en haut par les disciples. Le sujet représenté par M. Chasseriau n’est donc pas proprement la descente de la croix, mais la scène qui se passa alors que le corps inanimé de Jésus fut déposé tout sanglant entre les bras de sa mère, de saint Jean et de Madeleine, scène qui n’a d’autre réalité historique, du reste, que celle que lui a donnée la tradition de l’art. C’est ce qu’on appelle en Italie une pietà et en France un Christ mort ; c’est là ce qu’il faut voir dans la composition de M. Chasseriau. Même en partant de cette donnée, la composition de M. Chasseriau pèche singulièrement par le défaut de clarté. La disposition de ses figures est pleine d’invraisemblances et d’impossibilités. Comment son Christ, qui n’est ni couché, ni assis, ni soutenu par aucun moyen visible, peut-il rester ainsi debout en dépit des règles de la pesanteur ? Où sont ses jambes, qui, à la faveur de ce lambeau de linceul blanc, disparaissent tout d’un coup sans qu’on sache ce qu’elles sont devenues ? Comment s’expliquer la position de la Vierge dont on ne sait pas davantage où placer le corps et les pieds ? N’insistons pas, si l’on veut, sur ces défauts en quelque sorte matériels, quoiqu’ils indiquent ou une négligence ou une inexpérience également inadmissibles dans une œuvre qui veut évidemment être sérieuse et semble provoquer un parallèle avec celles des maîtres. Passons à des considérations d’un autre ordre. La tête du Christ n’est pas d’un beau caractère ; elle n’appartient pas à la belle famille des christs italiens ; on la dirait plutôt empruntée, comme forme et expression, à ces types délabrés et bizarres du gothique allemand. Celle de la Vierge est d’un style plus élevé, l’expression de la douleur y est rendue avec assez de grandeur et d’énergie ; mais de fortes incorrections de dessin la déparent. L’action de la Vierge, qui détache du front de Jésus la couronne d’épines, est, sauf erreur, un motif neuf et heureux ; toutefois on aurait pu, ce semble, en tirer un autre et meilleur parti. Les cheveux du Christ, engagés dans la couronne, étant ainsi relevés en masse et tirés perpendiculairement en haut, paraissent hérissés, ce qui donne à cette tête une expression de grimace étrange que l’artiste n’a pas peut-être cherchée, mais qu’il a eu le malheur de rencontrer. La figure de Marie-Madeleine qui, échevelée et pleurante, s’approche du Christ pour laver la plaie du coup de lance, est jetée avec une sorte de hardiesse qui ne nous déplaît point. Elle est sans