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LE SALON.

procédés matériels de l’art soient sans influence sur son développement et son caractère internes. Tous les procédés ne se prêtent pas également à toutes les applications. Suivant qu’ils sont plus ou moins propres à réaliser tel ou tel aspect des choses, à rendre telle ou telle impression de l’artiste, à obéir à tel ou tel caprice de sa main, ils limitent sa puissance dans un sens ou dans un autre, et, en la limitant, la dirigent. Or, la fresque a des difficultés et des qualités spéciales qui ne sont pas celles de l’huile et réciproquement. La fresque, admirablement appropriée à l’expression des élémens fondamentaux de l’art, le contour et la forme, se prête avec moins de facilité à celle de la couleur et surtout de la lumière ; elle deviendrait probablement tout-à-fait rebelle si on voulait lui faire réaliser les effets prestigieux de coloris et de clair-obscur de la peinture à l’huile. Sans l’huile, nous n’aurions peut-être ni Titien, ni Véronèse, ni Rubens, ni Rembrandt, ni Corrège, ou du moins nous ne les aurions pas tout entiers. L’art lui-même serait resté mutilé ; un côté ravissant de la nature nous eût été dérobé, car ces peintres qu’on appelle des coloristes n’ont pas plus créé les couleurs de leurs tableaux, que les statuaires n’ont créé les formes des dieux ; ils n’ont fait que transporter sur la toile ce que leurs yeux, mais leurs yeux seuls, voyaient dans les choses, et ils nous ont ainsi fait jouir avec eux du spectacle de cette belle parure. Mais ce procédé nouveau, précisément à cause de la puissance et de la séduction des effets dont il avait livré le secret à l’art, ne tarda pas à être abusivement exploité. Il tendit à matérialiser la peinture et à en faire un langage pour les yeux plutôt que pour l’esprit ; et comme ce langage était plus populaire, plus animé, plus universel, plus commode que l’autre, il devint universel. La fresque fut dès-lors négligée puis à peu près abandonnée, et avec elle périclitèrent les hautes parties de l’art dont elle est, par sa nature, l’organe privilégié.

La fresque a aussi ses excès ; elle tend à sacrifier la couleur, et, par suite, à mutiler l’art à sa manière. C’est ce qui est arrivé de nos jours aux Allemands. Ce danger, pris absolument, est, à tout prendre, moins grave que l’autre ; il sauve toujours du naufrage ce qu’il y a de meilleur dans l’art. Mais il faut convenir qu’il n’est nullement à redouter en France, et que c’est plutôt de l’excès contraire qu’il faudrait avoir peur. La fresque peut donc être introduite sans inconvénient ; il faut lui abandonner les murs, qui sont sa propriété. Sa rivale sera toujours la plus occupée, et pourra, comme de coutume, venir étaler au salon ses charmes et sa toilette.