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grandes maisons de province, croissent entre les fentes des pavés et entre les crevasses des murs.

Je sais que les écrivains qui font de la prose et des vers, des drames et des romans, croient volontiers qu’on exalte de parti pris la forme qu’ils avaient adoptée d’abord, pour leur interdire celle qu’ils ont choisie en dernier lieu. Il existe un vieux mot avec lequel tous les romanciers qui ont éprouvé des revers sur la scène ont consolé leur amour-propre : « À mon premier roman, on dira du bien de mon drame. » Peut-être que M. de Balzac se l’est répété à son tour. Je ne crois pas pourtant que les Mémoires de deux jeunes Mariées aient inspiré à personne le panégyrique de Vautrin. Il est incontestable, des exemples encore récens en font foi, qu’il y a certains esprits qui, après avoir pris dans le roman un vol plein de vigueur, s’abaissent et rampent sur la scène. Il y aurait un travail curieux à faire, et que nous entreprendrons peut-être un jour, sur les motifs qui, de notre temps, ont fait échouer au théâtre des écrivains que le succès avait couronnés ailleurs, Mais ce qui est nécessaire en ce moment, c’est de protester et de protester avec énergie contre cette pensée, si prompte à se présenter aux auteurs, qu’on veut combattre leurs œuvres par leurs œuvres, et vanter alternativement, pour les décourager, leur dernier roman aux dépens de leur dernier drame, ou leur dernier drame aux dépens de leur dernier roman.

Eh ! mon Dieu, drames et romans, nous voudrions pouvoir tout louer au contraire. Je ne conçois point de quoi les haines littéraires pourraient se nourrir aujourd’hui. Le caractère de notre époque, c’est un scepticisme sans raillerie qui ne demande qu’à se laisser séduire, une curiosité bienveillante qui accorde à toute chose sa part d’intérêt et d’attention. Pour moi, je déclare que la plus humble des œuvres d’art m’inspire une sorte de sentiment religieux et un véritable amour, quand elle porte l’empreinte d’un travail consciencieux et d’une étude laborieuse ; je me reprocherais comme un crime d’en parler avec légèreté ou mépris. Je crois le denier dont l’artiste obscur augmente le trésor toujours grossissant des produits de l’intelligence humaine, aussi sacré que le denier du pauvre. Mais plus cette religion de l’art m’est chère et me paraît une indispensable croyance, plus j’en veux à ceux qui l’outragent quand ils pourraient la servir. Plus j’ai de tendresse sincère et de respect profond pour la noble toile sans cadre qui me révèle les longs et glorieux efforts d’une volonté persévérante, plus le tableau au cadre fastueux où je reconnais la touche hâtive d’un pinceau vénal m’inspire de répulsion. Ainsi donc, s’il n’y a pas aujourd’hui dans notre critique une plus grande part aux éloges qui compensent ou adoucissent le blâme, c’est que l’œuvre dont nous avions à parler, comme presque toutes celles qui passent maintenant sous nos yeux, révèle des habitudes et des tendances qui ne sont ni les habitudes ni les tendances d’un artiste. Nous ne croyons pas que M. de Balzac soit destiné à la carrière dramatique. Eh bien ! cepen-