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REVUE MUSICALE.

correct et naturel, de cette verve qui sait se modérer ; l’orchestre surtout vous enchante par sa sobriété bien entendue, les instrumens disent là ce qu’ils doivent dire, rien de plus, rien de moins ; c’est une causerie animée, piquante, semée de traits où le bon sens trouve toujours son compte, où la logique des sentimens n’est point sacrifiée à tout propos à cette fureur d’emboucher la trompette de six pieds qui semble posséder la plupart de nos hommes de génie. Le duo entre Lablache et son fils, au second acte des Cantatrice Villane, vaut, pour la mélodie et l’entraînement, les plus remarquables inspirations du genre. Ici l’élève a si bien imité, qu’on ne distingue plus, et ce morceau figurerait avec honneur dans une partition de Cimarosa. Lablache y est admirable de rondeur et de gaieté ; du reste, d’un bout à l’autre de l’ouvrage, sa veine bouffe ne se dément pas un instant. À voir comment il réussit dans cette excellente musique, on conçoit aisément que Lablache affectionne entre toutes la période italienne de Cimarosa et de ses élèves, et s’efforce de la reproduire aussi souvent qu’il peut. Mme Persiani, elle aussi, s’entend à merveille à chanter ces vieux maîtres ; nous n’en dirons pas tant de Mme Albertazzi, qui n’a rien trouvé de plus ingénieux que d’intercaler dans cette partition de Fioravanti, écrite il y a plus de cinquante ans, une sorte de tyrolienne de fraîche date composée par Donizetti pour son opéra de Bettly. Voilà qui s’appelle avoir du tact, ce qui n’empêche pas cependant que Mme Albertazzi ne chante la tyrolienne de Donizetti d’une manière assez brillante, et qu’on eût davantage applaudie sans cette transposition malencontreuse. Les Italiens ont terminé hier leur campagne au milieu des ovations accoutumées, bien qu’il soit tombé cette fois sur la scène moins de bouquets et de couronnes qu’aux temps mythologiques de Rubini. Maintenant, si nous récapitulons les travaux auxquels on s’est livré pendant la saison musicale qui vient de s’écouler, nous verrons que l’administration a su dignement tenir tête aux circonstances et marcher à travers les difficultés qui l’assiégeaient. En effet, d’une part les dépenses augmentaient : qu’on se rappelle la restauration de la salle et la subvention supprimée ; de l’autre, les chances de fortune diminuaient par la retraite de Rubini. Heureusement le Stabat de Rossini s’est trouvé là, le génie du grand maître est venu encore une fois en aide à son théâtre. Mais rien ne fait supposer qu’un aussi favorable évènement doive se reproduire ; aussi l’administration hésite, et, s’il faut en croire les bruits qui courent, elle serait sur le point d’abdiquer tout-à-fait. L’avenir l’effraie, les virtuoses en renom chez nous depuis dix ans commencent à vieillir, et pour les chefs-d’œuvre qui se composent aujourd’hui en Italie, la Saffo que nous venons d’entendre en donne la mesure. Le moment est critique, nous l’avouons ; cependant pourquoi désespérer ? Il y a au-delà des Alpes toute une jeune école de chanteurs dont en France nous ne savons rien encore : Moriani, Poggi, Ronconi, la Frezzolini ; ne pourrait-on chercher à se recruter de ce côté, lorsque les temps seront venus ? Donizetti continuera d’écrire, et qui nous dit que dans le nombre, il ne se trouvera pas quelqu’une de ces partitions fortunées que le succès fait vivre ? Il s’en faut d’ailleurs que le répertoire italien tombe