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REVUE. — CHRONIQUE.

faire un reproche, puisque c’est le gouvernement qui a pris l’initiative pour leur imposer le rachat.

Dès-lors on comprend comment les questions de légalité ne touchent guère les parties intéressées. Tout leur paraît, au contraire, régulier et légitime.

On les soumet à une commission dont les décisions ne seront pas obligatoires pour l’état. Les compagnies seront liées, l’état ne le sera pas.

On les paie au moyen d’annuités, c’est-à-dire par des promesses, et certes, si par malheur il arrivait entre l’émission de l’annuité et la réalisation quelque grave évènement politique, les porteurs s’apercevraient, par une baisse de 25 ou 30 pour 100, qu’une annuité est autre chose qu’un paiement effectif.

Tout cela n’alarme pas les parties intéressées. Elles savent qu’après tout le crédit public de la France est solidement établi, et que des évènemens extraordinaires ne sont guère à redouter.

Elles connaissent les tendances généreuses du pays. Par cela même qu’il y a quelque chose d’insolite et d’exorbitant dans la loi, on ne voudra pas, se dit-on, lésiner sur le prix et donner à la mesure l’apparence d’une spoliation. Dans ces appréciations conjecturales de l’indemnité, qui voudra risquer d’enlever leur propriété à des particuliers pour enrichir l’état ? Que font à la France quelques millions de plus ou de moins ? Une faible économie ne vaut pas une bonne renommée, même pour l’état, qui a plus que personne besoin de confiance et de crédit.

Ces raisonnemens ne sont pas mal fondés, ces prévisions sont justes.

Mais ce ne sont pas là les motifs de l’assentiment assez général que le projet de loi trouve dans le pays. Cet assentiment a des causes plus profondes, plus intimes ; il tient à ce principe d’unité et de centralisation qui est, quoi qu’on en dise, un des sentimens les plus vivaces et les plus actifs de la nation.

Au fait, tout ce qu’on enlève de grandes entreprises et de travaux importans à l’administration publique paraît chez nous une anomalie et une usurpation. Ce qui est national, c’est par le gouvernement qu’on veut le voir exécuter. Alors seulement le pays regarde la chose comme sienne ; c’est alors qu’il l’aime et qu’il en est fier. Les théories contraires, bonnes ou mauvaises, peu importe ici, ne sont en France que des théories individuelles, des systèmes isolés, qui ne représentent nullement l’opinion générale. C’est notre bureaucratie qui est l’expression fidèle des tendances et des sentimens du pays. On jette la pierre à nos fonctionnaires publics, on s’en prend aux hommes, à tel ou tel homme, et on ne voit pas que les noms propres ne font absolument rien à l’affaire. Changez les hommes, vous aurez exactement les mêmes faits, les mêmes tendances, les mêmes doctrines, parce qu’encore une fois ces tendances et ces doctrines sont les tendances et les doctrines de la France.

Et, pour tout dire, nous ne voudrions pas nous en plaindre. Nos travaux publics, cela est certain, se feront lentement et nous coûteront fort cher.


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