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tous les hommes d’un certain rang ont des Persans pour secrétaires, et toutes les correspondances, domestiques ou étrangères, sont entre leurs mains, ce qui les rend très dangereux[1]. » Kamran, sultan de Hérat, n’avait pu s’affranchir de cette domination incommode qu’en chassant de sa principauté tous les shiites de race persane.

Burnes, après avoir été à Londres porter les fruits de son grand voyage à travers l’Asie, était revenu dans l’Inde à la fin de 1835. Il fut immédiatement remis en activité et envoyé dans le Sindy. « Je suis destiné, écrivait-il, à vivre toute ma vie en vagabond ; mais cela est de mon goût, et je suis tout dispos[2]. » Le gouvernement de l’Inde lui confia bientôt une mission plus importante dans le Caboul, auprès de Dost-Mohammed. Il prit avec lui le lieutenant Wood, qui a publié une relation de son voyage[3], deux autres Anglais et deux étudians parsis. Ils quittèrent Bombay le 28 novembre 1836.

Il paraît que l’objet de la mission était d’abord purement commercial ; le gouvernement de l’Inde ne songeait alors à aucune intervention militaire. Burnes devait prendre par le Punjab et le Cachemir pour gagner Lahore, faire, s’il était possible, un traité de commerce avec le Dost, négocier des arrangemens semblables avec les chefs de Candahar et ceux des provinces occidentales, chercher à ouvrir un débouché commercial jusqu’à la mer par le Belouchistan et Khelat, et revenir par le Sindy. Mais à peine avait-il gagné le bas Sindy, que des évènemens inattendus changèrent la nature de sa mission. Une armée persane s’avançait sur Hérat et éveillait les inquiétudes du gouvernement de l’Inde, pendant que sur une autre frontière du Caboul il se passait un autre drame qui devait avoir les plus grandes conséquences.

Dost-Mohammet, comme nous l’avons dit, ne cherchait que l’occasion de reprendre Peschawer aux Seiks. En 1837, Runjet-Sing commit l’imprudence de rappeler son armée de la frontière pour célébrer plus splendidement à Lahore les noces de son petit-fils Nihal-Sing. Le Barukzi, qui couvait depuis long-temps sa proie, ne perdit pas de temps ; il rassembla trente mille Afghans, et le 1er mai tomba à l’improviste sur les Seiks. Sept mille hommes restèrent sur le champ de bataille de Jumrood.

Ce qui fait le péril permanent de la puissance anglaise dans l’Inde, c’est que toutes les querelles des peuples limitrophes réagissent sur elle, et qu’elle doit toujours se tenir prête à intervenir. Comme l’annonça le gouverneur-général dans sa proclamation datée de Simla, l’invasion des Afghans pouvait rallumer la guerre dans les pays où les Anglais cherchaient alors à nouer des relations commerciales. Il résolut donc d’interposer sa médiation entre Runjet-Singh et Dost-Mohammed. Burnes fut chargé de cette tâche. Il s’engagea dans le Caboul sans autre escorte que des indigènes, et la mission entra dans la capitale, le 20 septembre, avec une garde d’honneur commandée par

  1. Parliamentary papers, lettre du 4 octobre 1837.
  2. Les journaux de l’Inde ont publié sur Alexandre Burnes un mémoire qui est attribué à son frère, le docteur Burnes.
  3. L. Wood’s Journey to the Oxus.