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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

Pison, et qui tournait si élégamment l’épigramme qui célébrait si délicatement les orgies et les festins de son disciple débauché. On a une invitation à dîner qu’il lui adresse. Certes, si ce Philodème (c’était son nom) a voulu faire de l’anacréontique, il n’a tenu qu’à lui d’y réussir[1].

Le goût pourtant, une fois averti par la science, se rend compte à son tour de la différence de ton entre les imitations et l’original, même quand ce dernier terme de comparaison manque ; et il arrive ici précisément ce qui s’est vu pour plusieurs morceaux très admirés de la statuaire antique : on les avait pris au premier coup d’œil, et sous la séduction de la découverte, pour les chefs-d’œuvre de l’art, dont ils n’étaient que la perfection déjà déclinante et amollie. Quelques bas-reliefs augustes, quelques magnifiques torses retrouvés, sont venus replacer le grand art sur ses bases divines. Ainsi on se représente que, même dans sa grace, le premier et véritable Anacréon devait avoir une largeur et un grandiose de ton, un désordre sublime et hardi, quelque chose, si j’ose le dire, de ce qu’a notre Rabelais dans sa grossièreté, mais que revêtait amplement en cette Ionie la pourpre et la rose, un libre faire en un mot, que le dix-huitième siècle de la Grèce, si élégant et si prolongé qu’il fût, n’a plus été capable d’atteindre et qu’il n’a su que polir. L’Anacréon primitif avait l’enthousiasme proprement dit. Bien des pièces au contraire de l’Anacréon qu’on lit, de cet Anacréon qui semble refait souvent à l’instar de l’épigramme de Platon sur l’Amour endormi, ne sont guère que le pendant de ces petites figurines d’ivoire, de ces petits joyaux précieux qu’au temps de l’empire les belles dames romaines ou les patriciens à la mode avaient sur leurs tables : l’Amour prisonnier, l’Amour mouillé, l’Amour noyé, l’Amour oiseau, l’Amour laboureur, l’Amour voleur de miel, toute la race enfin des Amours roses et des Cupidons de l’antiquité. Henri Estienne, en sa préface d’éditeur, ne sortait pas de cet ordre de comparaisons, quand il rappelait par rapport à son sujet ce joujou délicat de la sculpture antique, ce petit navire d’ivoire que recouvraient tout entier les ailes d’une abeille.

Mais cette circonstance même d’être d’une date postérieure et de l’époque du joli plutôt que du beau ne faisait que rendre ces légers poèmes plus propres à l’imitation et mieux assortis au goût du moment. L’agréable et le fin se gagnent encore plus aisément que le

  1. Voir la dissertation à son sujet, tome I, page 196, des Mélanges de Critique et de Philologie, par Chardon de La Rochette.