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Le drame se développe dans l’Inde, comme partout ailleurs, après l’épopée. Selon M. Quinet, que je me borne, en tout ceci, à résumer, le drame est l’indice assuré d’une crise religieuse, d’une décadence de la foi. Il suppose le doute ; son idée ne peut naître dans l’esprit tant que la créature, pieusement croyante, n’engage pas de débat avec Dieu. Dès qu’elle conteste avec lui, dès que la lutte éclate, les querelles tragiques de l’ame inspirent au poète, qui leur cherche une expression, les dialogues sanglans de la scène.

Avec le doute aussi naît la philosophie, qui discute, analyse, interprète le dogme, cherche et trouve dans la mythologie l’expression populaire et poétique de ses systèmes, commence par la soumission, poursuit par l’indépendance, finit par la révolte et substitue aux dieux ses abstractions. Il en est partout à peu près ainsi. Mais ce qui fait l’originalité de la philosophie hindoue et donne à ses systèmes les plus opposés un air de famille, c’est le but de ses recherches, qui est d’éviter le cycle douloureux des transmigrations et d’atteindre immédiatement l’immuable béatitude. S’élever au-dessus de toutes les vicissitudes, et, par une contemplation passive, se retirer de toutes les agitations et s’abîmer dans l’éternel repos du principe suprême, l’ambition du philosophe hindou n’est pas moindre, tant le génie de ce peuple est altéré de l’infini. Le doute prend également dans l’Inde une autre forme qu’en Occident. L’athéisme ne peut y être complet, il laisse aux dieux du moins l’empire illusoire du temps, il ne leur conteste que l’éternelle durée ; et lorsque le scepticisme est arrivé jusqu’à tout nier, jusqu’à ne trouver dans l’univers rien d’assuré et de réel, il en conclut que l’être n’existe qu’affranchi de toute alliance avec l’espace et le temps, et par-delà les mondes, à l’issue de son triste voyage, il retrouve encore un infini pour régner sur ces empires du vide, un dieu qui, au lieu de s’incarner dans la création comme Brahma, demeure absent de toutes choses. C’est là le bouddhisme, qui n’est qu’un système métaphysique popularisé jusqu’à se transformer en culte ; cette colossale hérésie, après une lutte long-temps indécise et de sanglantes querelles, chassée de la presqu’île du Gange, gravit le plateau du Tibet, se répandit dans les steppes de la Mongolie, pénétra en Chine, et compte encore aujourd’hui plus de croyans que le christianisme et l’islamisme.

De l’Inde, M. Quinet passe à la Chine, qui présente un spectacle bien différent. Les Chinois, frappés du miracle de l’écriture, qui découvre aux yeux le mystère de la pensée, virent dans l’écriture la révélation par excellence. L’univers ne demeure plus alors l’incarna-