Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
221
DU GÉNIE DES RELIGIONS.

il habite au milieu de son peuple, il guide ses voyages, il accompagne ses exils, il le cherche dans ses égaremens, et il lui a promis de s’incarner un jour dans la race de ses rois. Or, cette idée de l’incarnation n’a pu être donnée par la nature morte du désert. Ce n’est pas tout : la mémoire de la chute, l’espérance de la rédemption, remplissent, dès les premières pages, les livres saints des Hébreux. Comment les sables brûlans auraient-ils redit à l’homme cette tragique aventure et cette promesse ? Ils pouvaient parler de mort, et peut-être ainsi d’anathème et de mal ; mais qui leur aurait donné une voix pour raconter la clémence et le pardon ?

Jéhovah n’est donc point à l’image du désert. Je cherche le dieu qui peut l’être, et je trouve cette ressemblance empreinte sur les traits d’Allah. Je vois aussi que le dieu de Mahomet se révèle par un poète à des tribus enthousiastes de poésie, qu’à un peuple passionné et belliqueux il promet un ciel de voluptés et une terre de combats, et je me dis qu’il est vraiment le dieu naturel du désert et de ses hardis cavaliers.

Une dernière remarque. M. Quinet, en examinant le rapport du christianisme aux religions païennes, voit dans les panthéismes anciens une vaste prophétie de l’Évangile. Il faut bien s’entendre. Tous parlent sans doute de chute, de rédemption, d’incarnation. Dans les pagodes de l’Inde, dans les temples de l’Égypte, dans les mystères de la Grèce, dans les orgies asiatiques, on célébrait la mort et la résurrection du grand dieu. À l’époque où le soleil pâlit, où la nature tombe en défaillance, c’était sa vie que l’on croyait voir s’éteindre. Les peuples se répandaient dans les campagnes en troupes gémissantes qui répétaient la triste nouvelle, chœur désolé qui semble répondre de loin aux filles de Jérusalem sur le Golgotha et unir sa grande plainte à leurs lamentations et aux cantiques de l’église en deuil. Bientôt après on voyait le dieu renaître, et, pour célébrer sa victoire sur le tombeau, on s’abandonnait à tous les joyeux délires. Partout ainsi on croit d’abord retrouver des Bethléem, des Calvaires, des sépulcres divins dont la pierre est brisée, et, avant le fils de Marie, des Christs dont la merveilleuse histoire rappelle la sienne.

Il y a une différence entre eux et lui pourtant. Ces Christs qui l’ont précédé ne sont pas seulement venus partager nos douleurs : ils ont connu nos passions, ils nous donnent d’impurs exemples, ils exigent un culte infâme, et, au lieu des hymnes pénitens, des saintes volontés, des chastes allégresses de l’amour divin, ils demandent à leurs fêtes de sauvages clameurs, de fougueuses voluptés, et pour