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LE SALON.

peut, sans trop d’effort, le ranger parmi les naturalistes. Quoique difficile à préciser dans beaucoup de cas, la différence indiquée par ces dénominations est réelle. Il y a certainement deux manières bien opposées de concevoir et de traiter la représentation de la nature dans le paysage, et par conséquent deux écoles de paysagistes. Cette représentation, en effet, peut n’avoir d’autre but qu’une imitation parfaite de la terre et de la mer, avec les accidens de lumière et de coloration que les circonstances des lieux, les saisons, les heures et les phénomènes météorologiques y produisent, et d’autre effet sur le spectateur que les impressions associées d’ordinaire à la vue de la nature même dans ces diverses conditions. Cette imitation comporte plus ou moins de choix, et par conséquent de véritable composition et invention. Elle peut aussi se réduire à n’être qu’une véritable copie d’un site déterminé, et alors le paysage n’est en quelque manière qu’un portrait. C’est ce genre d’imitation qu’ont particulièrement exploité à tous les degrés les Flamands et les Hollandais, et en général les peintres naturalistes. Mais, au lieu de copier simplement la nature, telle qu’elle s’offre à l’observation dans ses accidens habituels, et lui laisser tout l’honneur de l’effet produit, quel qu’il puisse être, l’art peut vouloir l’embellir, l’ennoblir, l’agrandir, lui imposer des formes et un caractère déterminés, en vue d’une certaine impression à produire, en un mot l’idéaliser, c’est-à-dire sortir du réel, sans cependant sortir du possible. Ainsi travaillée et façonnée par l’art, la nature perd, comme imitation, une partie de la vérité matérielle et se soumet aux lois de la vérité poétique. La représentation elle-même est une véritable création, la réalisation d’un objet idéal, fruit de la pensée de l’artiste. C’est sous ce point de vue que les grands maîtres italiens, et le Poussin surtout, ont traité le paysage.

Il importe de répéter que ces distinctions ne se retrouvent pas dans les œuvres des peintres avec la précision méthodique qu’y met la théorie. En fait, il y a simultanément et toujours de l’imitation matérielle, de l’imagination, de l’invention, de l’idéal, dans toute représentation de l’art. On ne peut pas plus copier littéralement la nature que l’inventer. L’artiste y met toujours beaucoup du sien, et c’est avant tout son propre sentiment qu’il nous montre, plutôt que les choses même. Le peintre ne représente que ce qu’il voit, et il ne voit qu’au travers des conditions et des influences de sa propre nature. Pas plus dans le paysage qu’ailleurs, la peinture n’est un simple miroir qui réfléchit les objets ; et, si c’était un miroir, elle ne serait