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père, que M. de Blanquefort oserait manquer aux égards qu’il vous doit.

Elles descendirent. Le marquis et son fils aîné étaient déjà au bas de l’escalier. Mme Godefroi s’avança avec une politesse froide et fière : elle s’attendait à quelque scène embarrassante ; mais le marquis démentit sur-le-champ ses prévisions. Il baisa la main de sa belle-sœur, salua sa femme comme s’il l’eût vue la veille, et dit à Mme Godefroi, en lui présentant son fils aîné : — Madame, voici votre neveu, le comte Armand de Blanquefort. Il était aussi impatient que moi de vous rendre ses devoirs.

— Monsieur le marquis, je vous remercie de me l’avoir amené, répondit la vieille dame ; c’est un charmant cavalier. — Et se tournant vers la marquise, elle ajouta : — Vous avez le droit, ma sœur, d’être une orgueilleuse mère !

Mme de Blanquefort entendit à peine ces paroles ; elle s’était rapprochée de son fils aîné, et le considérait, absorbée dans un secret attendrissement. Sans doute elle avait été bien long-temps privée de sa présence, car, en le revoyant, elle avait tressailli, l’ame saisie d’une émotion qui dominait l’impression terrible que lui avait causée l’arrivée de son mari. Le comte Armand allait baiser la main qu’elle lui tendait ; mais elle s’arrêta en disant, avec l’accent d’un doux reproche : — Vous ne m’embrassez pas, mon cher fils ?

— Ma mère ! répondit le jeune homme en baissant la voix comme s’il eût craint d’être entendu, ma bonne mère, que je suis heureux de vous revoir !

Il fallait que Mme de Blanquefort eût été bien long-temps et bien cruellement délaissée de sa famille ; il fallait qu’elle eût craint de perdre jusqu’à l’affection de son fils, car, à ce mot, elle devint pâle de joie, et, se tournant vers M. de Blanquefort avec un élan de reconnaissance, elle s’écria : — Ah ! monsieur, que de graces je vous dois ! Qu’il y a long-temps que Dieu ne m’avait donné un jour heureux comme celui-ci !

En ce moment, Estève, conduit par l’abbé Girou, descendit pour saluer son père. À son aspect, la marquise se tut ; l’expression de joie qui avait éclairé ses traits s’effaça subitement ; un frisson intérieur parcourut tout son être ; on eût dit que le poids de ses douleurs, un instant soulevé, retombait plus pesant sur son cœur. En apercevant Estève, le marquis avait aussi changé de visage. Quelque chose de sombre et de violent éclatait dans le regard qu’il arrêta sur lui ; mais, se remettant aussitôt, il salua le précepteur, et lui dit, en