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vre jeune homme est mort tout récemment. Il était blond et vous êtes brun, il était grand et vous êtes d’une taille moyenne ; enfin, monsieur, il était Robert Wramp, et vous êtes le chevalier de Tréfleur. — Est-il possible, disait le malheureux échappé de l’hospice Bagrobact, est-il possible qu’un ange de bonté répète les paroles de ceux qui me persécutent ? Mais, mademoiselle, avez-vous jamais entendu le chevalier vous parler comme je vous parle ? l’ame dont je sens le souffle sur ma bouche, n’est-elle pas une ame toute germanique, une ame forte et vigoureuse, une ame à prendre sa volée avec les accords de l’orgue sous les voûtes d’une cathédrale ? Tenez, mademoiselle, il y a des choses que le musicien allemand peut seul vous dire ; je vous jure que j’entends encore là, dans mon cerveau, le bourdonnement confus d’une harmonie à moitié trouvée. Ce matin, je leur demandais un instrument. Ah ! s’ils avaient mis un orgue devant moi, on aurait vu si c’étaient des doigts de marquis ou de chevalier qui l’auraient fait parler.

Marguerite ne savait vraiment plus si elle devait s’en rapporter au témoignage de ses yeux ; ces paroles étranges la jetaient dans un désordre inexprimable de pensées. Elle s’étonnait, elle hésitait, elle balbutiait, quand un grand bruit se fit entendre au bout du jardin. Le vénérable conseiller Bosmann traversait tout effaré les gazons humides, sans s’inquiéter des taches que la rosée pouvait faire aux belles fleurs de sa robe de chambre. Derrière lui courait toute une légion de valets à demi vêtus qui agitaient des flambeaux. C’étaient les gardiens de l’hospice Bagrobact à la recherche de leur prisonnier. On l’avait vu franchir le mur et entrer dans le jardin de M. Bosmann. Le père de Marguerite avait des inquiétudes mortelles pour sa fille. Il arriva tout essoufflé sur la terrasse, appelant à grands cris sa chère enfant. Pendant ce temps, le chevalier poussait violemment la porte du pavillon. À peine s’était-il blotti dans cet asile, que toute la valetaille envahit la terrasse ; on se précipita derrière le fugitif, et d’ignobles mains le saisirent à la gorge. En ce moment la clarté des torches illuminait la retraite paisible où se passait cette scène nocturne. Les yeux du prétendu fou se dirigèrent tout à coup sur une glace placée au fond du pavillon. Dès que son regard eut rencontré celui que le miroir lui renvoyait, il poussa un cri de terreur et tomba évanoui.