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LE DERNIER OBLAT.

Mme Godefroi fut touchée de ce dévouement silencieux, et, s’avançant vers l’abbé, elle lui dit : — Ma pauvre sœur est dans une situation qui me navre, elle a des peines qui la tuent. Monsieur l’abbé, j’espère en vos bons conseils pour la sauver.

II.

Mme de Blanquefort revint de cette crise qui, un moment, avait mis sa vie en péril ; mais elle resta si épuisée, si languissante, que sa sœur la jugea hors d’état de supporter la plus légère commotion morale. Mme Godefroi tremblait à l’idée d’une nouvelle visite du marquis ; heureusement il s’excusa auprès d’elle dans un billet fort poli, et prétexta les devoirs de sa charge pour se dispenser de revenir à la Tuzelle.

Mme Godefroi ne devait passer qu’une quinzaine de jours près de sa sœur, et cet espace de temps lui semblait bien court pour la mission qu’elle avait résolu d’accomplir. La bonne dame, accoutumée au luxe de sa maison, à la société des beaux-esprits et aux amusemens du monde, se serait fort ennuyée dans cette campagne solitaire, en compagnie d’un prêtre, d’un écolier et d’une pauvre femme malade, si elle n’eût été distraite par une continuelle attention à observer cet enfant dont le sort la préoccupait si vivement, et peut-être aussi poussée par un certain goût de réforme, un besoin d’exercer son esprit à combattre ce qu’elle appelait des abus et des préjugés.

Dès le lendemain de son arrivée, Mme Godefroi était familièrement montée chez son neveu pour le surprendre au milieu de ses occupations. Estève et l’abbé Girou habitaient au second étage une grande chambre, la plus triste et la plus nue de la maison. Deux lits sans rideaux, une table, quelques chaises et quelques planches servant d’étagères, formaient tout l’ameublement ; quelques vieux livres étaient posés sur la table, à côté d’une écritoire et d’un sablier pareils à ceux dont se servaient les moines pour mesurer les heures qu’ils passaient dans leurs cellules. Un ordre exact, mais sans grace, régnait dans l’arrangement de ce chétif mobilier, où l’on aurait vainement cherché quelqu’une de ces élégances que la pauvreté la plus dénuée peut se procurer. Une fleur épanouie dans un pot de terre, un lambeau suspendu devant la fenêtre et à travers lequel le jour filtre adouci, suffisent pour égayer le plus misérable réduit ; mais ici,