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courses des corsaires de Jersey, resta inhabité. Deux mammifères, tous deux de l’ordre des rongeurs, tous deux remarquables par leur fécondité, le rat et le lapin, profitèrent de cette absence de l’homme, et se disputèrent la possession de ces roches abandonnées. Lorsque, vaincue par la fatalité, la France eut courbé la tête sous les traités de 1815, Chausey se peupla de nouveau. Français et Anglais, si longtemps divisés sur les champs de bataille, se réunirent contre les quadrupèdes usurpateurs. Les fusils, les chiens, les lacets, furent employés à l’envi. Pour échapper à cette guerre d’extermination, les rats se réfugièrent dans les îles de l’ouest, où leur tranquillité n’est guère troublée qu’à l’époque des fenaisons. Mais les roches les plus écartées ne purent servir d’asile aux malheureux lapins ; les Jerseyens, les y suivirent avec leurs furets, et les derniers descendans de cette population, jadis si nombreuse, disparaissent chaque jour un à un, grace à ce terrible moyen de destruction.

Je n’ai rencontré à Chausey, comme représentant de la classe des reptiles, qu’une jolie variété du lézard gris, remarquable par la vivacité de ses teintes ; en revanche, les espèces d’oiseaux y sont assez variées. Les moineaux, ces inévitables parasites de l’homme, ont établi leur quartier-général dans les ruines du vieux château. Des troupes de linots et de chardonnerets passent incessamment d’un monticule à l’autre, et le motteux, volant de rocher en rocher, fait entendre son petit cri plaintif. En parcourant les grèves laissées à sec par la marée, je faisais lever de nombreuses tribus d’oiseaux de rivage, qui venaient y chercher leur nourriture. Les pies de mer, les alouettes de mer, suivaient en piétinant les anfractuosités de la côte ; les barges, espèces de bécasses de mer, les courlis au long bec grêle et recourbé, peuplaient les anses vaseuses ; le héron solitaire, tristement immobile sur quelque pierre à fleur d’eau, attendait, avec sa patience proverbiale, qu’une proie imprudente passât à portée de son bec, tandis qu’au-dessus de lui les sternes ou hirondelles de mer, les goëlands, les mouettes, poussaient des cris discordans, traçaient en l’air mille cercles rapides, et se laissaient tomber à la surface des flots pour se relever d’un coup d’aile, après s’être emparés du poisson que leur œil perçant avait aperçu sous les eaux.

En revenant de cette première excursion, je longeai le jardin de la ferme, petit potager assez mal entretenu, où croissent à grand’peine quelques pommiers nains et deux maigres figuiers. Là, au fond d’un chemin creux, à côté d’un bouquet de jeunes saules, je trouvai la fontaine dont l’existence a pu seule rendre Chausey habitable. La