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L’ARCHIPEL DE CHAUSEY.

dant mon séjour, le nombre de ces carriers était d’environ cent vingt ou cent trente, presque tous Bretons, et venus de Saint-Malo ou des alentours. Ils habitaient des baraques en planches dont une dizaine, groupées auprès du port Marie, composaient le petit hameau désigné sous le nom de village des Malouins. Deux de ces baraques étaient occupées par des cantines où on vendait du tabac, du cidre et de l’eau-de-vie ; une troisième était consacrée à la forge. Chacune des autres servait de chambre à coucher à une quinzaine d’ouvriers, dont les lits s’élevaient par étages les uns au-dessus des autres. Presque toujours la femme de l’un d’eux, chargée de préparer la soupe pour la communauté, faisait partie de la chambrée, et sa couchette n’était séparée du reste de l’appartement que par un rideau de grosse toile.

Enfin nous reléguerons au dernier rang les barilleurs, ouvriers qui viennent tous les ans, des environs de Brest et de Cherbourg, récolter le varec ou goëmon qui couvre les rochers submergés de Chausey et le brûler pour en faire de la soude. À cet effet ils se dispersent sur divers points de l’archipel, par ateliers de six hommes, et construisent au centre du rayon qu’ils veulent exploiter une espèce de tanière où ils se retirent pendant la nuit. À mer basse, ils se rendent sur les rochers, les dépouillent de leurs fucus, et en forment de grands tas que soutiennent à la surface de l’eau les nombreuses vésicules aériennes de ces plantes marines. Ils dirigent ces espèces de radeaux vers le lieu qu’ils ont choisi, et, après avoir mis leur récolte hors de la portée des vagues, ils l’étendent sur la grève. Lorsque la dessiccation des fucus est complète, ils y mettent le feu et recueillent les cendres dans un petit fourneau où elles se fondent et se prennent en masses connues dans le commerce sous le nom de soude de varec. Les feux des barilleurs, avec leur clarté rougeâtre pendant la nuit, leurs longues colonnes de fumée pendant le jour, produisent, au milieu des rochers, un effet très pittoresque ; mais l’odeur de cette fumée est des plus désagréables, et dans le pays on la regarde, bien à tort il est vrai, comme pouvant engendrer toute sorte de maladies.

On rencontre aussi quelquefois sur les points les plus isolés de l’archipel quelques familles de Jerseyens, venus soit pour ramasser du varec, qui leur sert à fumer leurs terres, soit pour se livrer en cachette à la pêche du poisson. Malheur à eux quand ils sont découverts par les garde-côtes, car leurs filets sont impitoyablement confisqués et leurs bateaux mis en fourrière ! Souvent aussi les habitans de l’île se chargent de punir eux-mêmes ces maraudeurs. Pendant