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ESSAIS DE PHILOSOPHIE.

dogmes du rationalisme, M. de Rémusat résume à la fois sa propre carrière philosophique et celle du Globe. Le plan de son ouvrage est heureux et simple. L’auteur fait d’abord l’histoire du rationalisme moderne et des deux écoles qui lui ont disputé parmi nous l’influence dominante. Cette exposition historique et critique tout ensemble le conduit à établir une théorie logique sur la méthode et le jugement, une théorie métaphysique sur la matière et l’esprit. Un dernier Essai sur le scepticisme ne fait que montrer à nu la plaie que tout le livre est destiné à guérir, et reprendre d’une façon plus générale les argumens fournis par la discussion. Assistons avec M. de Rémusat à la naissance du rationalisme moderne dans l’école de Descartes ; voyons-le se développer et s’affermir par la profonde et audacieuse critique de Kant, par les sages et patientes analyses des écossais. De l’école de Descartes, M. de Rémusat nous introduira dans le camp des ennemis ; il nous montrera la décomposition de la pensée par les idéologues ; il nous conduira dans l’amphithéâtre de Broussais, et, de toute cette histoire et de toutes ces attaques, il fera sortir l’invincible autorité de la raison, la philosophie de l’esprit et la morale du devoir.

L’œuvre de Descartes n’est pas une école ; c’est une ère philosophique. La théologie pour règle, la scholastique pour méthode, pour sanction un bûcher, telle était avant lui la condition de la science. On étendait les intelligences sur ce lit de Procuste ; on leur donnait une panoplie qui les rendait invulnérables, mais qui les écrasait sous le poids. Descartes foule aux pieds les préjugés de vingt siècles. La liberté, voilà sa conquête ; la raison, l’évidence, voilà sa loi. Penser est ma destinée, si je suis une intelligence ; et qu’est-ce que penser, sinon juger, et juger avec indépendance ? Recevoir des opinions toutes faites, c’est abdiquer, et pour qui ? Dieu, qui m’a fait intelligent et libre, m’a imposé le devoir de peser mes opinions, puisqu’il m’en a rendu responsable. Tout croire, c’est de la folie, ou plutôt c’est le néant de la pensée. Si je choisis, c’est ma raison qui choisit. Si vous parlez au nom de Dieu, que je le sache d’abord, et ma raison se soumettra quand ma raison sera convaincue. Aveugles, conducteurs d’aveugles, quand vous voulez que je pense votre pensée et non la mienne, quand vous me prescrivez des règles qu’il faut suivre sans les comprendre, ne voyez-vous pas que vous mutilez en moi la nature humaine, que d’un homme vous ne faites plus qu’un automate, et que l’idéal de votre théorie, c’est la machine à raisonnemens qu’avait rêvée Raymond Lulle ?