Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/445

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
439
ESSAIS DE PHILOSOPHIE.

chose qu’une subtilité métaphysique propre à égarer les esprits plutôt qu’à les éclairer. On peut dire au moins que cet argument a pour lui des autorités imposantes, et qu’il a été considéré par de grandes écoles comme le fondement de la théologie. L’auteur d’Énésidème a écrit une histoire de cette preuve de l’existence de Dieu, où il nous la montre dans toute la suite de son orageuse et brillante destinée. Inventée par saint Anselme (et non par saint Augustin, quoi qu’en disent Tennemann, M. Cousin, et avec eux M. de Rémusat), combattue dès sa naissance par Gaunilon, repoussée par saint Thomas, et depuis par Gassendi, par Locke, par Voltaire et par toute l’école empirique, elle a pour elle le patronage de la plupart des grands métaphysiciens modernes, Descartes, Malebranche, Leibnitz, qui la reprennent tour à tour, la défendent, et s’appliquent à la fortifier, à lui imprimer le caractère d’un établissement scientifique. Kant, dans sa Dialectique transcendentale, rassemble contre cet argument toutes les forces de sa dialectique avec un zèle et une insistance qui prouvent au moins l’importance qu’il y attachait. Nous ne voulons pas entrer dans une discussion que le plan de M. de Rémusat semble écarter ; mais n’a-t-il pas confondu, dans son travail sur Descartes, deux démonstrations fort distinctes de l’existence de Dieu : l’une, celle de saint Anselme, que l’idée de Dieu n’est autre chose que l’idée que Dieu est actuellement parfait, et par conséquent qu’il existe ; l’autre, propre à Descartes, que, pour me donner moi-même cette idée, il faudrait qu’une force produisît un effet plus grand qu’elle-même, ou qu’avec le moins on pût faire le plus, ou encore que le fini, en se répétant, pût devenir son contraire, et s’appeler l’infini ?

Quand nous nous plaignons que M. de Rémusat n’ait abordé qu’accessoirement ce qui touche la théologie naturelle et la morale, c’est un regret que nous exprimons et non un reproche. Il aurait pu souffler la vie dans ce grand corps métaphysique du monde, dont il avait si bien décrit les élémens ; il aurait pu le faire vivre et se mouvoir sous nos yeux, nous montrer les causes secondes répondant à l’impulsion toute puissante de la cause première, et les lois éternelles de la physique et de la morale gouvernant avec une égale sagesse, tous les mouvemens du ciel et de la terre, et toutes les révolutions de la société humaine. Cependant tel qu’il est, son livre est complet ; c’est un tout, et rien ne lui manque dans les limites que l’auteur s’est assignées. Au fond, M. de Rémusat est si loin de négliger le principe des grandes vérités morales, que son livre est une exposition brillante,