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que la république laissa seules s’élever dans l’Europe, celle de la Marseillaise et celle du canon.

Bonaparte reconstruisit l’Académie comme il avait reconstruit la cité, au bruit du tambour. Il fit battre le rappel pour les poètes et les savans. Quand il les eut réunis, il les distribua, avec la régularité méthodique de son esprit militaire, dans les quatre classes de son Institut. La chaire n’avait pas été relevée, quoi qu’on eût rétabli l’autel, et la tribune politique restait muette ; mais cette fois l’Académie n’hérita ni de la chaire ni de la tribune politique. Les séances redevinrent semblables à ce qu’elles étaient au temps de Perrault, moins la splendeur des costumes, plus la longueur des discours. Après la chute de l’empereur, sa discipline continua à se faire sentir dans l’Institut, devenu l’Institut royal, comme elle continuait à se faire sentir dans sa garde, devenue celle d’un fils d’Henri IV. Si le Moniteur ne contenait que le récit des solennités académiques, on ne s’apercevrait point, pendant les premières années de la restauration, que le gouvernement de la charte a remplacé celui des décrets datés de Vienne et de Moscou. C’est seulement quand l’entrée de M. Royer-Collard et celle de M. de Barante frayèrent le passage à une école toute différente de l’école des poètes de l’empire, que les réceptions donnèrent lieu à de profitables enseignemens dans la politique et dans les lettres. Aujourd’hui le mouvement si heureusement commencé vers 1820 poursuit son cours, et l’avant-dernière séance est peut-être une des plus remarquables qu’il y ait eu depuis la fondation de l’Académie.

Les questions les plus vivantes de l’ordre social ont été abordées avec talent, et, ce qui est encore plus rare, avec franchise par deux hommes de convictions opposées, mais de caractères également honorables. M. de Tocqueville n’a fait aucune concession au public devant lequel il parlait, public composé en grande partie de cette opulente aristocratie de l’empire, qui, pour se garantir des espérances ou des regrets du despotisme, n’a ni les sentimens libéraux des classes populaires ni les vieux instincts féodaux de l’ancienne noblesse. Sans se soucier des vanités qu’il offensait, des secrets sentimens qu’il devait blesser, il a jugé durement le régime impérial, il a presque parlé de Bonaparte comme d’un compatriote de Catherine de Médicis et de Machiavel. Les opinions que M. Molé défendait l’ont mis en rapport plus intime avec son auditoire ; l’ancien ministre de l’empire a ramené le sourire sur des physionomies qui s’étaient assombries, par un éloge ingénieux de Napoléon et une habile justification de sa politique. Maintenant les orateurs et l’assemblée ont disparu ; les discours sont seuls devant nos yeux ; cherchons à rendre compte de l’impression qu’ils produisent sur nous, sans trop y mêler le souvenir de celle qu’ils ont produite sur le public de l’Académie.

M. de Cessac a vécu long-temps ; c’est en cela qu’il pouvait fournir la matière d’un long discours. L’existence que M. de Tocqueville avait à raconter n’avait jamais présenté par elle-même des accidens curieux ; mais ce qui la garantissait pourtant de l’uniformité, c’est qu’elle avait réfléchi dans son cours tous les grands évènemens qui, depuis soixante ans, se sont succédé