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culte. Seuls, parmi les peuples chrétiens soumis aux musulmans, ils font leurs processions au dehors de leurs églises, croix et bannières en tête, et les prêtres revêtus des ornemens sacerdotaux. On sait combien le son des cloches est en horreur chez les Turcs, et cependant, dans toute la montagne, les cloches maronites sonnent à pleines volées. Une des vexations les plus tyranniques auxquelles le gouverneur turc actuel ait soumis les Maronites, a été de ne leur permettre que des cloches en bois. Mais ces caprices d’un pouvoir inepte ne sont que des exceptions, et en général, ce clergé et ces communautés religieuses, que l’on serait porté à considérer comme des brebis au milieu des loups, jouissent d’une complète sécurité. « Il n’y a point de persécution, dit M. de Lamartine en parlant des couvens de la Terre-Sainte, il n’y a plus de martyre. Tout autour de ces hospices une population chrétienne est aux ordres et au service des moines de ces couvens. Les Turcs ne les inquiètent nullement ; au contraire, ils les protègent. C’est le peuple le plus tolérant de la terre, et qui comprend le mieux le culte et la prière dans quelque langue et dans quelque forme qu’ils se montrent à lui. Il ne hait que l’athéisme, qu’il trouve avec raison une dégradation de l’intelligence humaine. »

Volney, en 1784, estimait la population maronite à environ 105,000 ames ; elle est aujourd’hui de 200 à 220,000. Le nombre des hommes peut s’évaluer à l’aide du ferdé ou de la capitation, qui se paie de quinze à soixante ans, et dont les cheiks et le clergé sont exempts. Les Maronites pourraient aisément mettre sur pied plus de 30,000 combattans ; cependant ils sont plus faibles que les Druses, qui sont beaucoup plus guerriers, et qui exercent sur eux une sorte de prédominance militaire. Cette prédominance est tellement établie, que, malgré l’inimitié des religions, plusieurs des grandes familles maronites, pour maintenir leur influence dans leur tribu, sont obligées de se mettre sous la clientelle d’un parti druse.

Les Druses sont cependant moins nombreux que les Maronites, mais ils ont des mœurs et une organisation militaires beaucoup plus fortes. Ils sont naturellement sanguinaires et vindicatifs, quoiqu’ils aient de grandes apparences de générosité, et bien qu’ils exercent une hospitalité sans bornes. L’origine de cette peuplade a toujours été un sujet de controverse, et une des traditions nationales les plus accréditées est celle qui a voulu faire des Druses les descendans d’une colonie européenne laissée en Orient par les croisés. Il n’est pas rare, dit-on, de les entendre se glorifier d’être de race française. Mais ce qui paraît le plus probable, c’est qu’ils sont, comme les Maronites, une tribu arabe du désert, qui, ayant embrassé un des partis religieux qui surgirent en Orient lors du grand schisme musulman, se réfugia et se retrancha dans les montagnes pour y fuir la persécution. Comme les Maronites, les Druses se trouvèrent amenés à fonder une société politique, et, bien que profondément séparées par les croyances, les deux peuplades se réunirent presque toujours pour défendre l’intégrité de la montagne contre l’ennemi commun. À la fin du XVIe siècle, quand Amurat III envoya Ibrahim,