Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/544

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
538
REVUE DES DEUX MONDES.

et risible contradiction de la nature humaine ! Nous poursuivons, chez les autres, les passions et les idées qui nous animent nous-mêmes. Calvin, après avoir accablé d’injures la papauté, se fait pape.

Entre les habitudes anciennes et le puritanisme nouveau, le combat fut acharné, et d’abord la victoire resta aux bourgeois qui voulaient vivre comme par le passé. C’était l’ordre naturel des choses. Ce despotisme imprévu de la réforme soulevait une résistance presque unanime dont ne pouvaient sur-le-champ triompher les novateurs, quel que fût leur courage. Ils se montrèrent audacieux, inflexibles ; mais il ne leur fut pas donné d’établir du premier coup leur autorité. Au refus que firent Calvin et Farel d’administrer la cène aux fidèles le jour de Pâques, au milieu de tant de dissolutions et de blasphèmes, le petit conseil répondit par une sentence de bannissement. « Si j’eusse servi les hommes, je serais mal récompensé, s’écria Calvin en quittant Genève ; mais je sers un maître qui, au lieu de mal récompenser ses serviteurs, paie ce qu’il ne doit point. » Cela dit, Calvin secoua la poussière de ses pieds, et gagna Strasbourg, plus puissant que jamais. Sa sortie était triomphante, car il n’avait point cédé, et dans ce bannissement il trouvait une ressemblance de plus avec ces législateurs antiques dont il se portait l’émule.

— Les habitans de Sinope t’ont condamné à quitter leur ville, disait-on à Diogène ; et moi, répondait-il, je les ai condamnés à y rester. — Calvin eût pu se faire à lui-même l’application de cette parole, car bientôt ce furent ceux qui l’avaient banni qui se sentirent exilés, et Genève avait plus besoin de lui qu’il n’avait besoin de Genève. Toutes les villes où la réforme était en honneur se disputaient Calvin. À Strasbourg, Martin Bucer et Capito le recueillirent comme un trésor, pour parler avec Théodore de Bèze, et la capitale de l’Alsace l’envoya, comme son représentant, aux conférences de Worms et de Ratisbonne. Il était à Worms quand une députation vint le supplier, au nom du peuple, de rentrer à Genève. Les partis sont presque toujours les artisans de leurs propres disgraces. Après le départ de Calvin, ses adversaires victorieux s’étaient abandonnés à de tristes excès ce qui n’avait été d’abord qu’une aimable liberté de mœurs devint débauche effrénée, et le goût des plaisirs s’emporta jusqu’à l’orgie. Le gouvernement de la république fut bientôt aussi désordonné que la conduite des particuliers, et, à la faveur de cette anarchie, Berne menaça l’indépendance de Genève. Ne croirait-on pas lire une page de l’histoire des démocraties antiques ? Mêmes fluctuations entre l’oppression et la licence, même asservissement aux caprices et aux