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ractère provincial ressortira d’autant plus que la poésie s’exercera dans la sphère populaire et bourgeoise, et voilà justement d’où vient la physionomie si prononcée de Hans Sachs, par exemple, le Nürembergeois par excellence. Sans prétendre aller chercher ces idiotismes de la poésie dans une vocation héréditaire, un instinct de race, qui peuvent même quelquefois ne pas se démentir à l’étranger, — témoin la poésie des Grecs, poésie dorique, ionique, éolienne, etc., — ne suffirait-il pas d’alléguer certaines influences plus simples et qui se rattachent à la vie quotidienne, influences de climat, de mœurs, de site et de gouvernement, pour s’expliquer, dans le caractère des poètes allemands, ces modifications souabes, autrichiennes, franconiennes, ces modifications qui tiennent du pays de la Marche et de la Thuringe ? Nous n’entrerons pas ici dans les mille détails qui rappellent chez Goethe la ville natale, nous aimons mieux renvoyer le lecteur aux mémoires du grand poète de Francfort. Si Uhland fût né à Berlin, s’il eût été élevé dans la capitale de la Prusse, Uhland serait poète ni plus ni moins ; mais serait-il bien le poète que nous connaissons ? Il y a, au-delà du Rhin, une poésie de facile culture, qui se trouve sur son terrain partout où l’allemand se parle, poésie dont la fleur pousse au jardin des Alpes tyroliennes aussi bien que dans les sables de la Marche, car, pour cette fleur sans racines, il n’est point de sol de prédilection, toute surface lui convient, et ses feuilles demeurent insensibles aux influences de l’air ; mais la vraie poésie, comme une plante féconde et pourvue de tous ses organes, tire du sol où elle s’élève sa force, son éclat, son parfum, tout, jusqu’à la forme, jusqu’à la nuance de ses feuilles et de ses fleurs. La poésie d’Uhland, souabe par sa douce et naïve simplicité, souabe par son expansion cordiale et son intime profondeur, la poésie d’Uhland est une plante de cette nature, et nous ne croyons pas trop dire en affirmant que ce caractère souabe a trouvé, de notre temps, une expression plus pure encore, plus spéciale chez Kerner, cet honnête et paisible enfant de la plus mélancolique, de la plus allemande des muses.

En ramenant le mot à son origine, nous appellerions volontiers Justin Kerner un lyrique monotone, monotone à ce compte qu’il n’a qu’une voix, qu’un ton ; et s’il nous était permis d’employer ce mot dans son vrai sens, dans son acception littérale et dégagée de toute expression défavorable, nous voudrions nous en servir pour désigner toute une classe de poètes lyriques à une seule corde, et dont la monotonie fait le charme. Ces poètes représentent assez certaines voix